Les risques écologiques et politiques actuels expliquent le climat d'anxiété dans lequel nous vivons. Tout en soulignant la dynamique destructrice du désespoir, Corine Pelluchon montre que la confrontation à la possibilité d'un effondrement de notre civilisation est l'occasion d'un changement ouvrant un horizon d'espérance. Cela suppose de comprendre que l'espérance n'a rien à voir avec l'optimisme qui masque la gravité de la situation et qu'elle se distingue aussi de l'espoir qui exprime le souhait de voir ses désirs personnels se réaliser. Opposée au déni, l'espérance implique l'épreuve du négatif. Elle est la traversée de l'impossible.
L'oeuvre poétique d'Edith Bruck est indissociable de son oeuvre narrative, elle puise dans sa vie de déportée hongroise et d'émigrée en Italie l'essentiel de son inspiration, faite de souvenirs, de prises de position personnelles et politiques, de réflexions sur la société et sur les choix de vie et sur sa vie familiale et conjugale. Le précédent recueil d'Edith Bruck, paru chez Rivages,
A la suite de "On ne peut vivre qu'à Paris" (7 500 ex vendus), Patrice Reytier illustre un nouveau livre à partir de fragments inédits de l'oeuvre de Cioran.
Emerson rencontre Thoreau en 1837 à Concord, Massachusetts. Il devient pour ce dernier un maître et un second père, lui prête le terrain sur lequel il va construire sa cabane au bord de l'étang de Walden en 1845, l'introduit dans le cercle des transcendantalistes et assure la publication de ses premiers essais et poèmes dans leur revue, « The Dial ». Esquisse biographique admirative, cet éloge funèbre prononcé par Emerson pour la mort prématurée, en 1862, de celui qui était son meilleur ami, reste encore aujourd'hui ce qui a été écrit de mieux sur l'auteur de « Walden » et de « La Désobéissance civile ». Plus qu'une simple biographie, ce court récit se lit aussi comme un éloge de l'amitié.
Agnes Heller dans ce recueil sur l'Europe, met en discussion les "valeurs communes européennes", s'interroge sur le rôle des simples citoyens et se demande si: "L'Europe est quelque chose de plus qu'un musée?" Dans ces textes, il est question des grands paradoxes qui caractérisent si bien le continent européen que la culture occidentale : l'universalisme humaniste et le fanatisme nationaliste, la tolérance et la xénophobie, le totalitarisme et la liberté.
Considéré parfois comme le malin génie ou le deus absconditus de la philosophie française d'après-guerre, tant ses leçons paradoxales et provocatrices auront attiré les brillants esprits d'alors (de Lacan à Queneau, en passant par Bataille, Merleau- Ponty et Michel Leiris), le jeune Kojève (1902-1968) s'inscrit pourtant d'abord dans la philosophie russe et ses débats. Et, parmi ces derniers, il y est souvent question de bouddhisme. La Russie, en effet, s'est toujours réfléchie comme une frontière ou comme un point de passage et de mélange entre l'orient et l'occident, entre l'Europe et l'Asie.
Si chacun peut faire le constat qu'il est relié à la planète entière et au sort de tous les humains et non-humains qui y vivent, partout la relance des politiques nationales de sécurité, voire d'immunité, l'encourage au repli sur soi, à l'indifférence et, plus encore, à la peur des autres. Ainsi naît l'indésirabilité. A l'heure de la globalisation, l'étranger n'existe plus que sous la forme de l'indésirable. Tout ce qui est désirable est rendu proche, acceptable et vite familier, le reste est dérangeant, jetable, et peut être abandonné.
"L'innocente jeunesse se rend à l'Université pleine d'une confiance naïve, et considère avec respect les prétendus possesseurs de tout savoir, et surtout le scrutateur présomptif de notre existence. Elle se rend donc là, prête à apprendre, à croire et à adorer. Si maintenant on lui présente, sous le nom de philosophie, un amas d'idées à rebours, un assemblage de mots qui empêche tout cerveau sain de penser, un galimatias qui rappelle un asile d'aliénés, alors l'innocente jeunesse dépourvue de jugement sera plaine de respect aussi pour pareil fatras, s'imaginera que la philosophie consiste en un abracadabra de ce genre, et elle s'en ira avec un cerveau paralysé où les mots désormais passeront pour des idées." (Schopenhauer)
"À l'expérience juive de l'Histoire, Auschwitz ajoute en effet un inédit, dont ne sauraient venir à bout les vieilles catégories thé ologiques. Mais quand on ne veut pas se séparer du concept de Dieu - comme le philosophe lui-même en a le droit - on est obligé, pour ne pas l'abandonner, de le repenser à neuf et de chercher une réponse, neuve elle aussi, à la vieille question de Job. Dès lors, on devra certainement donner congé au seigneur de l'Histoire. Donc : quel Dieu a pu laisser faire cela ?" (Hans Jonas)
À partir de 1817, le poète Giacomo Leopardi (1798-1837) prit des notes philosophiques et philologiques dans un cahier qu'il appela "Zibaldone", sorte de journal intime de la pensée de près de 5000 pages. Parmi ses nombreux projets d'essais inaccomplis se trouve un "Manuel de philosophie pratique", où Leopardi donne quelques conseils pour échapper au désespoir. Voici un choix thématique du "Zibaldone" sous la forme d'un dictionnaire philosophique.
Agir, s'émouvoir et progresser : en trois chapitres choisis parmi ses Éléments de philosophie, le plus fluide des penseurs du siècle dernier éclaire l'existence humaine à la lumière de ses phrases. Il a conscience que la vie est un jeu ; mais il prend au sérieux l'expérience des passions, qu'il détaille avec humanité. Il veut être un appui pour acquérir la vertu
Dans cet essai, Emanuele Coccia s'interroge sur la sensibilité, sur la vie sensible. Mais si la sensibilité est si évidemment présente en nous, si elle est l'évidence même, si nous cherchons, par tous les moyens, à jouir d'elle et à jouir avec elle, comment se fait-il que la philosophie lui ait comme tourné le dos ? Ce livre est donc en premier lieu une réhabilitation de la sensibilité. Car cette réhabilitation est urgente. De fait, par la sensibilité nous tenons au monde et le monde tient à nous. Mais cette réhabilitation prend aussi la forme d'une réflexion inattendue sur l'image - cette modalité par laquelle nous rendons sensibles les idées. L'image n'est-elle pas la forme sensible de l'autre ? A travers de brefs paragraphes qui invitent au rêve et à la méditation, cet essai riche et stimulant s'articule en deux parties qui tendent, la première à définir ce que nous appelons sensibilité, vie sensible ; la seconde à penser le rapport de l'image et de la sensibilité.
Les principes fondamentaux de la République sont-ils contraires au colonialisme ? Quels impacts la colonisation a-t-elle sur un État qui se transforme en métropole d'un empire ? Et quels sont ses effets intérieurs ? Dans ces articles, écrits entre 1936 et 1943, le verdict de Simone Weil est sans appel : coloniale, la France opprime des peuples et perd ses principes. La colonisation rend impossible l'amitié entre les peuples (ce qui posera problème, dit-elle, si la France veut de nouveau enrôler les populations des colonies dans une guerre). Ces réflexions sur la colonisation pensée comme déracinement vont la conduire à son oeuvre majeur : «L'Enracinement».
Est-ce que notre aptitude à juger, à distinguer le bien du mal, le beau du laid, est dépendante de notre faculté de penser ? Tant d'années après le procès Eichmann, Hannah Arendt revient dans ce bref essai, écrit en 1970, à la question du mal. Eichmann n'était ni monstrueux ni démoniaque, et la seule caractéristique décelable dans son passé comme dans son comportement durant le procès et l'interrogatoire était un fait négatif : ce n'était pas de la stupidité mais une extraordinaire superficialité. La question que Hannah Arendt pose est : l'activité de penser en elle-même, l'habitude de tout examiner et de réfléchir à tout ce qui arrive, sans égard au contenu spécifique, et sans souci des conséquences, cette activité peut-elle être de nature telle qu'elle conditionne les hommes à ne pas faire le mal ? Est-ce que le désastreux manque de ce que nous nommons conscience n'est pas finalement qu'une inaptitude à penser ?
L'essai sur La personne et le sacré, qu'a écrit Simone Weil à Londres dans la dernière année de sa vie, ne cesse de nous interpeller. D'abord parce qu'il critique sans réserves le concept de personne, à tort jugée comme sacrée. Ensuite, pour sa recherche acharnée et passionnée d'un principe qui se place au-delà des institutions, du droit et des libertés démocratiques, et sans lequel celles-ci perdent tout sens et toute utilité. Un texte plus que jamais actuel pour comprendre l'effondrement des droits de l'homme, comme le souligne la magistrale préface signée par Giorgio Agamben.
La philosophie, telle que la comprend et la pratique Schopenhauer, est une chasse aux illusions. Dans l'«Essai sur le libre arbitre», traduit en 1877, il démontre que l'homme est incapable d'agir par lui-même et il relègue au rang de mirage cette mystérieuse faculté appelée libre arbitre. L'homme est prisonnier de lui-même. La seule liberté dont il puisse disposer est une reconnaissance approfondie de soi. Leçon que Freud, qui avait bien lu Schopenhauer, retiendra et qu'il appliquera sur un plan thérapeutique. Vision aussi très moderne de la condition humaine : les hommes sont responsables de ce qu'ils font mais innocents de ce qu'ils sont.
Le 27 avril 1985, Emmanuel Levinas prononce une conférence sur le thème de l'individu intitulée « De l'unicité ». À l'heure des bilans, comment la conscience de l'individu européen peut-elle véritablement demeurer en paix ? Le texte de Levinas est une invitation à penser « l'individu humain » dans sa subjectivité propre d'être unique, dans son « unicité d'unique ». Sans rompre avec la rigueur des formes logiques du langage, Levinas revient sur des questions qui lui sont chères : telles que l'amour du prochain et la justice. La réflexion éthique ouvre désormais un horizon politique. Inédit
"L'essentiel pour moi, c'est de comprendre. Je dois comprendre." (Hannah Arendt) Ces essais sur la religion chez les intellectuels, l'intérêt des philosophes pour la politique, la philosophie de l'existence et l'existentialisme français, Heidegger "le renard", ou encore l'antistalinisme américain témoignent de la réflexion que, toute sa vie, Hannah Arendt a mené sur les questions du politique, de la modernité et de la condition humaine.
Hannah Arendt (1906-1975), l'une des plus importantes philosophes du XXe siècle, a consacré toute son oeuvre à défendre la liberté de l'homme, penser le phénomène du mal et les totalitarismes. Elle est notamment l'auteur aux Éditions Payot de La Nature du totalitarisme et de Justice et responsabilité.
"Il convient, selon moi, de renoncer à cette idée des sources dernières de la connaissance et de reconnaître que celle-ci est de part en part humaine, que se mêlent à elle nos erreurs, nos préjugés, nos rêves et nos espérances, et que tout ce que nous puissions faire est d'essayer d'atteindre la vérité quand bien même celle-ci serait hors de notre portée." (Karl R. Popper). Cet essai reprend une conférence donnée par Popper le 20 janvier 1960 à la British Academy.
Ttraduit de l'anglais par Michelle-Irène et Marc B. de Launay.
«Quelques réflexions sur la philosophie de l'hitlérisme »a paru dans la revue «Esprit», en 1934, presque au lendemain de l'arrivée de Hitler au pouvoir, et un an après le «Discours du rectorat» de Heidegger. "L'article procède - écrit Levinas dans un post-scriptum de 1990 - d'une conviction que la source de la barbarie sanglante du national-socialisme n'est pas dans une quelconque anomalie contingente du raisonnement humain, ni dans quelque malentendu idéologique occidental. Il y a dans cet article la conviction que cette source tient à une possibilité essentielle du Mal élémental où bonne logique peut mener et contre laquelle la philosophie occidentale ne s'était pas assez assurée."
Du rôle de l'argent dans les rapports entre les sexes jusqu'à l'utopie d'un Éros fait de réciprocité, par exaltation (et non par effacement) des singularités qualitatives, Georg Simmel, ce classique de la sociologie moderne, parcourt ici le vaste champ des déterminations qui conditionnent le masculin et le féminin, et envisage les changements d'optique qui permettraient de les déconditionner. Sa réflexion passe aussi bien par une phénoménologie des comportements quotidiens (La Psychologie de la coquetterie) que par une série d'interrogations générales sur la culture féminine, ce lieu de toutes les convergences et toutes les bifurcations possibles. Georg Simmel offre l'exemple d'une sociologie en liberté qui, loin de s'enliser dans le positivisme, joue simultanément de toutes les ressources qu'offre l'imagination militante alliée à l'analyse exacte.
À la publication du «Traité de la nature humaine», aujourd'hui considéré comme l'un des tournants dans l'histoire de la pensée, David Hume est déçu. L'accueil n'est pas celui espéré. Renonçant au volumineux format du traité, le jeune auteur se fend d'un article qu'il intitule « Abrégé ». Ne demeurent de l'abondant traité que l'élégance de la plume et une maîtrise impeccable de l'argumentation. Qui d'autre que l'auteur lui-même (malicieusement caché sous le masque de l'anonymat) aurait pu expliquer en aussi peu de pages le renversement de la causalité, la théorie de l'habitude, bref l'essentiel de sa philosophie ? Un immense génie, en dialogue direct avec le grand public : un cas presque unique dans toute l'histoire de la philosophie.
Jamais l'histoire n'a permis de porter un regard aussi pénétrant sur le sort inhumain qui nous est réservé, jamais une telle lucidité ne s'est autant aveuglée sur notre chance de le révoquer.
La tyrannie planétaire du profit mise sur le caractère archaïque des réactions contestataires pour accroître sa puissance en démantelant les secteurs utiles à la société et en propageant une misère existentielle qui multiplie les comportements suicidaires.
Notre seule chance d'abolir la civilisation marchande consiste à favoriser l'émergence d'une civilisation humaine en nous fondant, avec l'intention de la dépasser, sur la seule et véritable nouvelle économie.
Le temps est venu d'en prendre conscience : notre richesse réside en une vie affinée par le progrès de la sensibilité et de l'intelligence humaines. Nous n'avons ni à la sacrifier ni à la rembourser au prix de l'infortune.
Notre combat n'est plus de survivre dans une société de1 prédateurs mais de vivre parmi les vivants.
Nous expérimentons tous, à un moment ou un autre, intimement ou collectivement, la perte : meurtre de masse et deuils collectifs ; craintes fantasmatiques de perte d'identités culturelles, nationales ou territoriales ; perte de l'identité personnelle dans les maladies neurodégénératives ; précarité et perte de statut social ou des conditions matérielles d'existence ; mais aussi critique de la propriété et volonté de désappropriation et de dépossession. Toutes ces expériences font saillir une catégorie étrange qui flotte entre l'être et le non-être : ce que l'on perd, ce qui est perdu. Au titre de reste insignifiant, ce qui est perdu est l'élément essentiel d'une structure économique qui s'étend de la vie des affects au champ politique et à l'éthique (ce qui ne peut être perdu sans menacer l'être-même). Cet essai original retrace le parcours qui va des expériences multiples de la perte (deuil, pauvreté, oubli, nostalgie, sacrifice) aux structures qu'elles mettent en lumière (économie, jeu, histoire) et qui constituent les fondements anthropologiques des cultures et des individus d'aujourd'hui. On y croisera au passage des auteurs tel que Freud, Derrida, Rilke, Agamben, François d'Assise, Benjamin, Hegel, Ricoeur, Bataille, Kundera, Beckett, Canetti...