Ce livre propose de relire la philosophie de Walter Benjamin à partir de sa cosmologie. Le cosmos de Benjamin n'est pas un univers ordonné, composé de corps célestes identifiables, mais l'occasion d'une expérience fulgurante : dans l'univers post-copernicien de Benjamin, l'intériorité du désir et l'extériorité des étoiles, le politique et le théologique, le présent et le distant passé se rencontrent sans fusionner. Situant Benjamin dans la tradition philosophique (G. W. Leibniz, K. Marx, F. Hegel) tout en s'appuyant sur des pensées contemporaines (J. Butler, S. Hartmann, M. Löwy), ce livre crée une « correspondance » entre Benjamin et notre actualité. Dans un monde soumis aux replis nationalistes, aux virus destructeurs d'altérité et à l'intrusion technologique, le lointain semble s'évanouir. En prise avec l'histoire la plus récente, celle du New Space et de la Sixième Extinction, de Black Lives Matter et des Communes éphémères, ce livre soutient qu'aucune transformation politique radicale, aucune émancipation, aucun communisme n'est possible, et souhaitable, sans relation avec un lointain - telle l'Étoile du Nord que les esclaves en fuite suivaient dans le ciel nocturne pour les guider vers la liberté.
Ce volume, issu d'un colloque qui s'était tenu à l'Université de Paris Nanterre en septembre 2016, prend pour objet la réception de Wittgenstein en France des années cinquante du XXe siècle aux années quatre-vingt. Il réunit les contributions d'auteurs et de spécialistes les plus reconnus de la pensée wittgensteinienne, par-delà le clivage communément institué entre philosophie analytique et philosophie continentale. Le prisme ainsi adopté, la réception de la pensée de Wittgenstein dans le contexte de la philosophie française contemporaine, permet une approche renouvelée de thèmes majeurs de l'oeuvre du philosophe autrichien : le langage et les limites du langage, la dimension expressive de la logique, l'articulation du logique et du mystique, l'inscription sociale du mental, la question du formalisme et la contestation des philosophies de la conscience et de l'intériorité, le statut de la fiction et des expériences de pensée dans la recherche philosophique, le sens du tournant grammatical. Simultanément, cette vaste enquête autour de la découverte et des reprises contrastées de l'oeuvre de Wittgenstein par des auteurs français tels que Pierre Hadot, Gilles-Gaston Granger, Jacques Bouveresse, Gérard Granel, Michel Foucault, Jean-François Lyotard, ou Alain Badiou, est l'occasion d'un regard inédit porté sur les lignes de forces, puissantes autant que contrastées, qui ont animé et donné son souffle à la philosophie française de la seconde moitié du XXe siècle.
Ce livre se propose de confronter Hannah Arendt (1906-1975) et Cornelius Castoriadis (1922-1997) autour d'une thématique majeure, quoique peu étudiée, de leurs oeuvres respectives : la Grèce ancienne et tout particulièrement la démocratie athénienne - le siècle de Socrate et Périclès plutôt que celui de Platon et Aristote, les moeurs et institutions politiques vivantes plutôt que les doctrines et traités philosophiques abstraits. Pour Arendt comme pour Castoriadis, le « germe grec » constitue en effet, à partir d'un certain moment de leurs parcours, une ressource essentielle pour penser les conditions philosophiques, anthropologiques et politiques d'une véritable démocratie. Dès lors, nombre de leurs thèses et engagements bien connus s'en trouvent éclairés, précisés, affinés : critique du totalitarisme et de la modernité capitaliste, défense de la démocratie directe, analyse des révolutions modernes, du mouvement ouvrier ou des révoltes contemporaines. En suivant notamment Castoriadis dans ses séminaires à l'EHESS de la fin des années 1980 - dans lesquels la référence à Arendt joue un rôle de tout premier plan - on saisit mieux ce qui rapproche indéniablement ces deux penseurs majeurs du XXème siècle, mais aussi ce qui les sépare sur des points décisifs. On peut alors, à notre tour, tenter de nourrir un projet d'émancipation individuelle et collective à la lumière de l'un de ces « rares moments heureux de l'histoire où liberté et politique sont allés de pair » (Arendt).
Il n'y a pas chez Marx une définition ni une pratique de la philosophie, mais des définitions et des pratiques qui se chevauchent et se recouvrent. Il en revendique tour à tour la réalisation par son lien avec le mouvement révolutionnaire, son devenir monde, sa suppression, son érection en théorie de la connaissance historique, en réflexion critique de l'histoire et du pouvoir.
Ces oscillations sont politiques. Elles se cristallisent dans la figure du communisme. En croyant promouvoir une raison transparente incarnant le début d'une histoire humaine enfin fondée sur la libre association, il façonne une figure de la rationalité comme pouvoir, à laquelle s'oppose une raison limitée, auto-rectificatrice, puissance politique qui en incarne à l'inverse le dépérissement. C'est dans cet espace que se joue l'inachèvement de sa pensée.
La référence au populisme semble bien, en ce début de XXIe siècle, redoubler de fait et se faire de plus en plus accusatrice en droit dans le cadre des sociétés démocratiques désenchantées de notre temps.
Une telle peur du loup populiste provient-elle d'un corps étranger qui menacerait de s'introduire, de l'extérieur, dans la bergerie démocratique ? Ou ne tient-elle pas, bien plutôt, à l'essence même de la démocratie et, plus particulièrement, à la crise de la représentation en politique qui sévit actuellement dans nos démocraties tiraillées entre les modèles représentatif, participatif et délibératif ? Si le populisme est bien « l'ennemi public numéro un », comme cela paraît être définitivement acquis pour la science et l'action politiques démocratiques, ne faut-il pas l'exclure de la cité voire l'excommunier de l'humanité ? S'il s'avérait, cependant, que le chef d'inculpation politique de populisme relève assez souvent d'un anathème idéologique anti-populaire, ne faudrait-il pas envisager d'accorder quelque place au populisme dans la refondation républicaine de la démocratie qui s'impose de plus en plus aujourd'hui ?
Nietzsche et Wagner dans leur intimité ! Compte tenu de l'importance des personnages, la chose suffirait déjà amplement à mériter notre attention. Mais il y a bien plus pour mériter notre attention dans cette correspondance. Bien plus, car on assiste ici à la naissance de la philosophie de Nietzsche cherchant alors un modèle de sagesse chez Wagner censé ressusciter les tragiques grecs. Bien plus encore, car en voyant ici Wagner travailler à son rêve de Bayreuth et, plus profondément, à son ambitieux projet de renaissance de la civilisation allemande et en voyant ici le jeune Nietzsche tenter d'oeuvrer à ce double projet au côté de Wagner, son aîné de 31 ans, ce qu'on voit, à sa source, c'est le projet, plus ambitieux encore, de refondation de la civilisation humaine tout entière que Zarathoustra viendra chanter bien des années plus tard.
Bien plus enfin, car on peut aussi à la lecture de ces lettres comprendre pourquoi les sentiments chaleureux dont elles témoignent devaient se transformer en farouche hostilité : on accepte mal de s'être laissé longtemps fasciner, subjuguer - fût-ce par le plus charmeur des artistes - quand on s'appelle Nietzsche.
Ce livre analyse de manière suivie et lyrique ce qui se répète chez Proust. Il s'agit pour nous d'un geste de retour vers Proust, non seulement en tant que spécialiste ou chercheur universitaire, mais par des détours nombreux dans le champ de la création - la philosophie (Deleuze), l'image (Chris Marker), la sémiologie (Barthes), et de bien d'autres domaines. S'immerger dans l'événement littéraire qu'est À la Recherche du temps perdu nous protège de la dilution du moment actuel en « événements » médiatisés et médiatiques, déterminés à l'avance et figés ; en lisant Proust, nous affirmons notre liberté, nos marges de manoeuvres pour retrouver les intermittences du temps. Des entre-temps ou entre-images à travers quelques chapitres courts où les thématiques se suivent et se répètent de façon parfois inattendue.
Ce livre, en traversant les différentes formes de multiplicités, antiques et modernes, interroge la pensée qui s'en arrache, le concept vital qui fraie son passage entre tant de chemins entremêlés. Quel est le principe qui nous différencie? Quel axe de développement peut parfaire la singularité, l'unicité d'un individu, la frontière sur laquelle il se ferme sur lui mais tout autant se divise et se reproduit en perdant sa ligne? Dans le scénario d'une figure singulière, se présentent des hypostases par lesquelles chacun procède et remonte à ce qui enveloppe l'écriture complexe de tout vivant, sa formule et sa signature. Ce processus trouve sa première formulation chez Plotin. Il apparaît comme un nouvel artisan de la philosophie qui non seulement inspire Spinoza ou Schelling mais, dans l'orientalisme de ses visions, nous permet de renouer avec des écrivains comme Hermann Hesse ou des naturalistes comme Von Uexküll, des constructeurs de mondes comme Deleuze ou des déconstructeurs d'univers comme Derrida pour expérimenter ainsi le foisonnement de tout organisme : une évolution byzantine de fragments dont la multiplicité réalise des enveloppements de plus en plus amples, largeur et profondeur entrant dans un combat qui trace les ourlets de tout ce qui vit et péniblement surexiste, autant les corps, les énergies de la physique que les idées de la pensée.
Dès leur parution, en 1951 et jusqu'à nos jours, Les Origines du Totalitarisme de Hannah Arendt s'est imposé comme une référence incontournable. Pourtant cette oeuvre est plus une synthèse des analyses (politique, historique, juridique, sociologique, ...) antérieures des systèmes totalitaires, qu'une interprétation entièrement originale.
Ce livre se propose d'examiner les sources juridiques du modèle totalitaire arendtien. Il montre comment Hannah Arendt utilise aussi bien la théorie du droit d'inspiration critique (élaborée par des juristes en exil, en lutte contre totalitarisme, comme Ernst Fraenkel ou Franz Neumann) que la doctrine juridique dogmatique, développée par des juristes engagés dans les systèmes totalitaires, comme Carl Schmitt ou Theodor Maunz.
Bien au-delà de la seule philosophie, le débat à Davos en 1929 entre Cassirer et Heidegger a marqué l'histoire des idées. Il a même donné naissance à des récits passablement légendaires qui négligeaient le contexte historique précis. Un nouveau regard s'impose, à la lumière des oeuvres publiées depuis lors. Les vingt-cinq tomes de l'édition allemande de référence de Cassirer ne sont disponibles que depuis 2007.
S'y s'ajoutent les dix-sept tomes du Nachlass depuis 2017. Des 102 volumes de la Gesamtausgabe de Heidegger, édition de référence mais sans garantie scientifique, moins d'une dizaine reste programmée, mais d'ores et déjà la publication des cinq premiers volumes des Cahiers noirs a permis d'engager une relecture critique de l'ensemble. C'est donc à présent seulement que l'on peut véritablement évaluer les projets contrastés des deux auteurs.
Leurs enjeux intéressent notamment le statut de la rationalité et des sciences, en particulier celles de la culture, aussi bien que le statut de la technique parmi les formes symboliques. Et tout autant, l'opposition entre la démocratie et la théologie politique ; entre la légitimité du cosmopolitisme et l'ontologie identitaire ; enfin, entre la possibilité même d'une éthique ou son rejet de principe.
Tous ces thèmes contradictoires exigent aujourd'hui une révision critique, non seulement rétrospective, mais aussi ancrée dans le présent. Car au-delà même de la philosophie, des courants de pensée et des forces politiques en Europe et dans le monde poursuivent ces deux voies qui s'opposent aujourd'hui.
Comme pour un roman de Bradbury, Fahrenheit 451, on peut supposer que le livre de papier s'autodétruise à une certaine température. De la même manière, la déconstruction telle que Derrida pouvait la concevoir, de nombreux détracteurs souhaiteraient qu'elle se déconstruise d'elle-même, par inanité. Et il en irait ainsi de Deleuze ou Foucault. Leurs oeuvres conduiraient au pur relativisme, à l'ère de la post-vérité qui ferait de toute proposition une valeur modifiable, sans discernement ni authenticité. Mais force nous incombe de reconnaître que les brûlots ne disparaissent pas d'eux-mêmes et que rares sont ceux qui ont exercé un regard véritablement critique sur une époque dont il est difficile de concevoir qu'une relève ait eu lieu, à considérer les propositions intellectuelles d'aujourd'hui. Voici donc que les tenants de la French Theory endossent le concept de postmodernité comme chef d'accusation, un sobriquet qui les caractérise. Il nous incombe de reprendre cette charge virulente pour en signaler les malentendus à travers une conception élargie du dépassement de la modernité tout au long d'une oeuvre singulière.
Jean-Philippe Cazier interroge ici le parcours de Jean-Clet Martin pour clarifier sa position de penseur « postmoderne » et suivre son parcours depuis Deleuze. Se révèle ainsi l'itinéraire d'une philosophie de la différence et d'une forme de néocriticisme à reconsidérer sous un jour plus éclairant.
Antonio Gramsci, célébré conjointement, dans les années 1960-1978, comme le penseur marxiste le plus novateur du XX° siècle par Jean-Paul Sartre et Louis Althusser, n'a pas fait l'objet d'études soutenues en France après quelques recherches importantes, et cela malgré la publication de ses oeuvres aux Editions Gallimard et la parution d'anthologies. Il réapparaît aujourd'hui en notre pays grâce à l'intérêt suscité par les travaux anglo-saxons en matière de Cultural Studies, de Subaltern Studies et même d'International Relations Studies. Les études italiennes qui avaient déserté cette oeuvre dans les années 1980 renaissent autour du projet d'une édition nationale complète et se signalent par une vitalité renouvelée. La même observation vaut pour des spécialistes anglais et américains de grande compétence. En France Gramsci n'est même plus un célèbre méconnu ; il est encore largement inconnu. Il est temps de lever cette méconnaissance.
Gramcsiens et non gramsciens, faites enfin un fort de connaissance avec un penseur majeur du monde moderne dont il reste encore à mesurer l'inactuelle actualité.
Cette étude entend exposer la pensée de cet intellectuel et politique exceptionnel en réfléchissant sans réfraction adjacentes une oeuvre multiforme, quasi encyclopédique, mais critico-systématique en ses intentions. Les Cahiers de prison ne sont pas un livre, ni même une suite d'essais thématiques. Leur fil conducteur de cette étude est l'équation énigmatique que Gramsci établit entre philosophie, histoire et politique.
Voici quelques questions qui seront abordées. Comment une pensée ni économiciste ni déterministe s'ouvre une histoire internationaliste des nations de l'Europe et de l'Occident qui reçoit une nécessité conditionnelle sans jamais perdre sa contingence ? Comment une théorie du bloc historique congédie la dualité vulgaire entre structures et superstructures au profit d'une articulation des rapports de forces et de sens inscrits dans des conjonctures où peut se former et peser une volonté collective elle-même divisée ?
Comment l'idéologie du sens commun peut-elle se faire objet d'une critique qui culmine avec une philosophie intérieurement politique, la philosophie de la praxis, sans que jamais le cercle du sens commun et la philosophie ne se brise ? Comment le langage et la langue jouent-ils un rôle essentiel dans la formation des pensées des collectifs ? Enfin comment les masses subalternes vouées à l'instrumentalisation et écrasées par un sens commun passivisant peuventelles conquérir une puissance de pensée et d'action et envisager de devenir protagonistes de leur histoire ?
Comment comprendre les transformations simultanées des formes de l'Etat et de la société civile dans une problématique de l'hégémonie et de la contre hégémonie, issue autant de Machiavel que de Marx et de Lénine? Comment penser la possibilité d'une nouvelle Réforme et d'une Renaissance entreprise par des institutions politiques à la fois expressives des masses et capables d'hériter de la civilisation, et cela à une époque tragique dominée par les fascismes et la stagnation de la révolution soviétique ? Comment composer cet historicisme avec une alliance transitoire avec le meilleur du libéralisme politique et moral ?
La beauté, comme question et comme valeur, a été au centre de la culture occidentale depuis les Grecs jusqu'à l'aube du XXe siècle, en passant par le christianisme et l'âge classique. Elle occupe également une place centrale dans les civilisations orientales et arabo-musulmanes.
Il semble que, depuis un siècle, cette centralité ait été perdue, les arts, qui l'exaltaient, ont joué à cet égard un rôle pionnier en cultivant des valeurs comme celles d'originalité, d'expressivité, d'étrangeté ou d'authenticité, qui peuvent jouer directement contre la beauté.
Cet essai, né du constat de la presque totale absence d'une valeur qui fut, pendant plus de deux millénaires, la forme par excellence de l'idéal, commence par l'analyse de l'idée de beauté : comment elle a été conçue, à quelles controverses elle a donné lieu, quels sont ses différents domaines d'application ? Cette première partie, plus philosophique que les deux suivantes, s'achève sur la révolution de la modernité esthétique, qui a contribué à la dévalorisation de la beauté au profit d'autres valeurs.
La deuxième partie de l'essai analyse la façon dont le monde, à travers les quatre domaines de réalisation de la beauté (l'art, la nature, la ville et le corps humain), est entré, depuis un siècle, dans un processus d'enlaidissent accéléré. Désormais, en effet, la beauté est à ce point refoulée et détruite qu'il n'est pas excessif de parler d'une véritable détestation à son égard. Même dans les secteurs où la beauté semble aujourd'hui particulièrement valorisée (le corps féminin, avec la mode, le cinéma, les spectacles d'une manière générale), le refoulement est sensible : on demande désormais à une actrice moins d'être belle que d'être excitante.
La troisième et dernière partie traite des raisons profondes de cette rage particulière et jamais nommée qui s'en prend à ce qui, pendant longtemps, était par excellence source d'admiration. La sécularisation, c'est-à-dire la profanation du monde (la perte du sacré), l'universalisation de cet affect qu'est l'envie, et où Alexis de Tocqueville voyait le sentiment démocratique par excellence, et enfin la volonté de puissance d'autant plus destructrice qu'elle dispose désormais de moyens technoscientifiques pour s'exercer de manière illimitée sont, selon nous, les facteurs décisifs du refoulement et de la destruction de la beauté.
Cet essai, qui contient une dimension historique et sociologique autant que philosophique, a été rédigé avec l'intention d'être lu et compris par le plus grand nombre.
La question traitée intéresse en effet tous les gens de bonne volonté, et pas seulement une élite cultivée. Comment, en effet, concevoir sans la beauté un monde véritablement humain, accueillant au plaisir, à la joie et au bonheur ?
Pourquoi s'exile-t-on ? Pour échapper à l'injustice, reconquérir une liberté menacée, fuir les violences, les persécutions, la mort, la misère ou s'arracher à la résignation. On part quand rien ne fait plus écran au risque d'anéantissement, que l'espérance devient lettre morte, alors même que la vie n'a pas été accomplie. Les épreuves qui conduisent aujourd'hui à l'exil ont leurs origines dans les déchirures du nouvel ordre mondial : la guerre économique sans merci des états de la planète ; l'incapacité à maîtriser la réalité du marché financier ; le chômage de masse ; l'exclusion des citoyens sans abri de toute participation à la vie démocratique des états ; l'aggravation de la dette qui affame et réduit au désespoir une grande part de l'humanité ; les guerres interethniques qui se multiplient, guidées par le fanatisme et les fantasmes de la communauté absolue ; les effets destructeurs des dictatures ; les pathologies de l'identité collective fondées sur l'idéalisation de la haine ; la violence naturalisée réduite à une simple gestion ; la cruauté ; le nettoyage ethnique, etc.
Pour ces raisons, il est temps de faire de l'exil une catégorie politique de portée universelle et signifiante pour la modernité. Prendre en compte cette exigence permet de repenser les termes de la politique afin de sortir de la passion identitaire et de poser la seule question qui vaille : est-ce qu'on peut faire quelque chose et sous quelle forme ou est-ce qu'on ne peut rien ? L'objectif est d'esquisser une éthicosmopolitique qui se présente comme une politique de la condition humaine, un pari sur la capacité de chacun de répondre sans exception à la vulnérabilité d'autrui, un tout-autre-être-au-monde, une forme de vie qui nous lie les uns aux autres.
L'enjeu est considérable. Penser politiquement l'exil, c'est chercher à comprendre ce que veut dire être-ensemble, être au monde, être sujet ; c'est ouvrir le monde à la totalité des possibilités qu'il contient.
En se demandant ce que c'est en pratique, s'orienter, on tire un fil auquel se raccrochent, présentées sous des biais inattendus, beaucoup de questions dont l'importance philosophique est manifeste et même centrale. On s'oriente, ou on est orienté - c'est le principal dilemme auquel on est confronté lorsqu'on s'intéresse à cette question -, dans l'espace physique, mental, collectif, en vue de s'identifier professionnellement, sexuellement, politiquement, religieusement, dans des conditions qui, à chaque fois, oscillent entre deux pôles extrêmes, l'un de passivité, l'autre d'activité. Au fond, la philosophie dans son ensemble pourrait renvoyer à cette question dont les enjeux concernent tout le monde à tout moment, partout, sans exception. Le rat qui se repère tant bien que mal dans le labyrinthe du psychologue, le voyageur qui essaie de se retrouver dans la forêt où il est perdu, le militant révolutionnaire qui cherche une issue à la crise qu'il a contribué à déclencher, le savant en quête d'épreuves de vérité qui lui permettent de démêler les problèmes qu'il s'évertue à clarifier, le croyant qui se demande désespérément où trouver un sens à la vie : toutes ces situations, qui s'inscrivent dans des contextes très différents, ont néanmoins en commun de renvoyer à la même exigence, celle de s'orienter, qui engendre des comportements dont le résultat n'est nullement acquis à l'avance. Peut-être est-ce de cette exigence et des innombrables difficultés auxquelles elle est confrontée que le désir de philosopher tire son impulsion première.
Du sens de la démocratie au défi du vivre-ensemble, les problèmes graves qui se posent aux sociétés actuelles sont divers mais ils rencontrent tous le lexique de l'identité et du pluralisme.
Et si l'expérience de l'exil et la notion corollaire de hors-sol offraient les instruments conceptuels susceptibles de fournir des redéfinitions politiques et d'esquisser des solutions pratiques ?
La question posée est claire : la pensée politique moderne doit réexaminer ses fondations et, à cette fin, prendre en compte l'ampleur de la crise migratoire contemporaine, mais - et c'est le coeur du problème - elle semble s'y refuser.
Ce refus révèle un déni de réalité et un déficit du savoir quant à la manière dont les sociétés occidentales peuvent accueillir l'expérience de l'exil. Doit-on l'appréhender comme une menace à surmonter, ou doit-on la penser comme une modalité éthique, propre à fonder une approche politique inédite ? Il faut pour échapper à cette impasse concevoir un système où aucune nationalité ou religion ne pourrait revendiquer la souveraineté sur une autre et où, en fait, la souveraineté serait elle-même redéfinie. Penser l'exil aujourd'hui, c'est défendre des formes nouvelles de citoyenneté et développer une politique de traduction entre les cultures valorisant des processus d'appartenances multiples.
Cela conduit à explorer une hypothèse, celle d'un dépassement de la souveraineté étatnationale en posant un autre concept du politique, une politique pensée selon le schème de l'hospitalité universelle, une éthicosmopolitique.
Ce travail critique, qui consiste à repenser la notion de commun et celle d'universel nous parle aussi de la manière dont se construit, à partir d'un présent déchiré, le monde à venir. La relecture d'oeuvres aussi singulières que celles de Spinoza, Rousseau, Kafka, Lévinas, Arendt, Derrida, Celan, Foucault, Butler, Deleuze, etc. participe, en ce sens, à cette passionnante réflexion sur la crise de nos sociétés et son futur.
Afin que la pensée du philosophe Pierre Verstraeten circule, nous avons, sa fille Sarah Verstraeten et moi, opéré un choix de textes épuisés ou difficilement trouvables. De ses très nombreuses contributions, nous avons retenu un entretien avec Sartre, des questionnements relatifs aux problématiques de la liberté et de l'aliénation, de l'événement, de la possibilité d'une morale. Ces textes qui sondent les systèmes de Hegel, Sartre, Deleuze, Badiou, qui dialoguent avec la peinture de Maurice Matieu, avec le contemporain sous toutes ses formes (actualité politique, cinéma, littérature...) ne sont nullement des réflexions «sur» mais des explorations personnelles de problèmes philosophiques travaillés par la flamboyance d'une pensée jamais en repos. Au coeur des enjeux de sa pensée, la production d'une alliance entre la dialectique hégélienne, l'existentialisme sartrien et le vitalisme deleuzien.
L'essai De la révolution (1963) représente, après Condition de l'homme moderne et La crise de la culture, le troisième ouvrage de la série dans laquelle Hannah Arendt expose le nouveau paradigme du politique qu'elle entend développer. Il s'agit également de proposer un nouveau paradigme de la révolution. Arendt se propose de tirer les leçons de l'histoire en opposant ce qu'elle nomme le «désastre» de la Révolution française aux leçons d'une révolution supposée réussie, la « Déclaration des droits » américaine.
Il importe donc qu'historiens et philosophes analysent conjointement la façon dont Arendt envisage les Révolutions américaine et française et se détermine par rapport à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la remise en cause de celle-ci dans la pensée contre-révolutionnaire d'Edmund Burke. Il s'agit également de voir la place qu'Arendt attribue au peuple dans ces processus et dans quel esprit elle se réfère, dans le dernier chapitre de son essai, aux « conseils » révolutionnaires.
La formule arendtienne du « droit à avoir des droits » amorce-t-elle, comme certains le soutiennent aujourd'hui, un tournant politique dans la considération des droits de l'homme ? Ne représente-telle pas une machine de guerre contre la notion même de droit naturel, qui se trouve au fondement de ces droits ? Dès lors, que reste-t-il de l'idée d'humanité dans la perspective construite par Arendt?
Il s'agira de montrer que dans le contexte de la Guerre froide, Hannah Arendt a pu élaborer, dans ses essais de théorie politique, un nouveau paradigme du politique et de la révolution au prix d'une instrumentalisation de l'histoire et d'une mise en pièce de l'idée d'humanité.
Rares sont les philosophes d'envergure qui traitent des sciences et techniques. C'est le cas d'Auguste Comte qui au milieu du XIXe siècle, dans une oeuvre immense et audacieuse, allie théorie de la science, philosophie morale et politique, considérations sur l'industrie et définition, dans la continuité du christianisme, d'un humanisme laïque. De quoi donner des armes conceptuelles et théoriques à nombre de nos débats d'aujourd'hui.
Ce livre propose une nouvelle manière de penser l'Être, dans une perspective essentiellement dynamique. L'Être este envisagé comme arrachement au Néant (qui lui consubstantiel) et, conséquemment, comme entrée-dans-l'Être, acte créateur qui le remplace, implicitement, dans son commencement-sans-commencement. Les catégories classiques de la philosophie ont été repensées dans leur articulation paradoxale ; s'y ajoutent d'autres catégories, partiellement suggérées par un fertile dialogue avec les sciences exactes. Le discours philosophique original et novateur suit la logique rigoureuse de la création graduelle-étagée, en essayant de répondre à une multitude de questions négligées par la métaphysique traditionnelle, telles que : si, en revenant à soi, l'Être se retrouve en tant qu'essence spirituelle éternelle, se manifestant concomitamment par une création d'un autre ordre - la création « matérielle » - qui va engendrer une multitude de cosmos physiques (et noétiques), quel est le sens de la décréation et quel est le sens de la recréation ? Est-ce qu'il existe en dehors du Monde de l'esprit pur - l'éon divin - un seul univers ou bien une infinité de cosmos ? Comment les différents éléments de l'Être se structurent-ils dans des formations unitaires qu'on appellera nucléons ? Comment apparaissent les créatures dans leur immense diversité ? Peut-on parler, dans les termes de la philosophie, de Mondes et d'Antimondes ? On s'interroge aussi sur l'espace, le temps, le devenir, ou encore sur la communication entre les différents Mondes ou entre les Mondes et les Antimondes.
L'idée générale de ce livre, est que la pensée de Marx appartient à tous ceux qui s'en réclament et qu'il n'est donc aucunement dans l'intention de l'auteur d'en fournir la seule version autorisée.
Ce qui l'intéresse, c'est donc le marxisme en tant que source d'inspiration pour comprendre les impasses de la situation politique et intellectuelle actuelle, situation que l'on pourrait définir par le confusionnisme et le glissement d'un certain nombre d'intellectuels venus de la gauche et de l'extrême-gauche vers la droite et l'extrême-droite et surtout la fabrication médiatique de penseurs qui deviennent, en quelque sorte, les mannequins d'un défilé de mode des idées.
Cette posture est aussi celle d'un anthropologue qui considère que sa discipline est englobante, sinon totalisante, et qu'elle a vocation à traiter de l'ensemble des formes de savoir, et donc également de la philosophie. L'intérêt d'une telle démarche est de confronter une expérience de terrain propre à l'Afrique à un savoir constitué comme le marxisme sans en projeter d'avance les catégories, comme cela a été souvent le cas, sur des réalités exotiques.
Notre époque prend conscience du fait que la crise économique mondiale comme la dévastation généralisée du milieu naturel sont des aspects particuliers d'une crise plus large qui concerne les manières de vivre, et donc le sens et la valeur que nous conférons à la vie et à l'existence en général. La crise de « nos » sociétés est une crise de la culture ou de la « civilisation », c'est-à-dire d'un certain mode de vie articulé par une représentation globale du monde et s'incarnant dans des modèles spécifiques de subjectivité et de subjectivation.
Le capitalisme - privé ou d'État- est un régime de clôture du possible qui assigne à l'humain et à tout ce qui existe la signification absolue de ressource disponible en vue de l'accumulation de l'avoir et du pouvoir. Par là même, le capitalisme est en soi un régime de dévastation de l'humain et de la nature non humaine, régime qui est incompatible avec la culture dont le sens premier, rappelons-le, est le prendre soin de la terre - puis le prendre soin de l'humain. Aujourd'hui comme au XIXe siècle, la critique du régime « moderne » de dévastation de la vie humaine et de la vie en général passe par une critique culturelle du capitalisme, qui assumerait le fait que le capitalisme n'est pas simplement un mode de production mais aussi et surtout un régime d'enfermement de l'humain dans l'enclos d'une rationalité purement instrumentale et calculatrice orientée vers la finalité absolue de l'avoir accumulatif et du pouvoir sur les autres et sur les choses. Un régime produisant une subjectivité « unidimensionnelle », capable de finalités utilitaires mais incapable de (re)créer socialement et incessamment une symbolique du sens existentiel. Subjectivité sans esprit, à l'image de ce « dernier homme » décrit par Nietzsche, pour lequel l'habitude de regarder vers le bas lui fait perdre jusqu'à la signification du mot « étoile ».
La critique de la clôture capitaliste du symbolique ne signifie nullement qu'il faille revenir aux récits du sens et de la valeur qui avaient cours à l'époque de Nietzsche -comme le prétendent certains intégrismes religieux et politiques du présent. En tant que modalité de l'exigence critique de la pensée, la critique culturelle du capitalisme nous invite à repenser historiquement les conditions du sens existentiel et de la valeur, par delà toute dogmatique et en deçà des dichotomies établies entre le « réel » et l' « utopie », la « raison » et l'« imaginaire », le « visible » et l'invisible ». Elle entend ainsi contribuer à libérer un espace de pensée et de passion en vue de la (re)création des « énergies utopiques » de l'humain ou, pour le dire peut-être plus simplement, de l'esprit humain. Ce livre entend proposer, de manière succincte, une série de repères historiques et thématiques de la critique culturelle du capitalisme.
La Science de la logique est le développement, "dans toute son ampleur", du résultat auquel parvient la Phénoménologie de l'esprit : le savoir pur comme l'unité de la certitude de soi-même et de la vérité - les deux a la fois inséparables et différents. Et parce qu'ils "se trouvent sus en même temps comme différents", leur unité se révèle non plus abstraite mais "concrète". Scindé en lui-même, le concept répond de cette différence dans l'unité.
Le présent ouvrage a tenté d'en rechercher et d'en accompagner les implications, depuis le rapport de l'être pur et du néant pur, jusqu'à la déprise de soi de l'Idée pure comme Nature. Cela, en ayant pour témoin la méthode absolue, elle qui "prend de son ob-jet lui-même le déterminé, puisqu'elle est elle-même son principe et [son] âme". Cette réflexion est sous-tendue par l'inlassable exploration des ressources du négatif.