« Mais quelle est la source de cette force qui nous laisse sans peur devant la source de la peur, sans désarroi devant la source du désarroi ? À quelle puissance la joie trouve-t-elle soudain cette force qui lui permet de résister à l'effet corrosif d'une tragédie à laquelle elle s'expose ? Telle est la question essentielle à laquelle nous devons enfin proposer une réponse. ».
Voici ce dont un Clément Rosset d'à peine 21 ans rapporte l'expérience et l'analyse dans cet essai inédit qui préfigure de manière originale bon nombre de ses réflexions ultérieures, et notamment celle-ci : l'impossibilité de rendre raison de la joie tragique, lucide d'exister.
Dans ce livre, Clément Rosset s'entretient librement avec Santiago Espinosa sur divers sujets. Dans une première partie, comprenant cinq entretiens, Rosset raconte avec humour les trois épisodes marquants de sa vie l'ayant conduit à la réflexion philosophique. Il est ainsi question de son enfance, de son amour de la musique et de la littérature, de ses années de normalien et de son entrée à l'Université de Nice. Il y revient sur ses auteurs de prédilection, sur ses rapports avec l'Académie et avec les philosophes dont il a été le contemporain et parfois l'ami (Cioran, Deleuze, Jankélévitch, Descombes).
Dans une seconde partie, deux entretiens visent, au vu d'un certain nombre de contresens ayant été faits par des commentateurs à son égard, à clarifier et à détailler le concept-clef de sa philosophie : le double et le réel.
Il s'agit donc à la fois d'un livre biographique, où Rosset parle de lui-même, et d'un ouvrage de fond, où le lecteur trouvera, tantôt un supplément conceptuel aux livres qu'il aura lus de sa philosophie, tantôt une introduction et une invitation à leur lecture.
Une certaine critique d'art, si répandue qu'elle est devenue vox populi, nous a habitué depuis fort longtemps, notamment depuis l'avènement de l'art "contemporain" , à considérer que l'art est véhicule ou "expression" de bien des choses - du moi, des sentiments, des idées politiques, climatiques, morales -, dont semblent exclues les idées spécifiquement artistiques. Ainsi, ce que le spectateur d'une oeuvre d'art est invité à "comprendre" n'est pas l'oeuvre mais ce qu'elle est réputée signifier (exprimer), sens qui ne se voit ni ne s'entend paradoxalement pas, que l'oeuvre "cache" ou dissimule.
Conscient de cette dérive, Jankélévitch avait affirmé lors d'un interview que personne n'aime la musique pour ce qu'elle est ; il semblerait qu'il faille étendre cette vérité à un terrain plus ample : presque personne n'aime l'art pour ce qu'il est. Que signifie aimer l'art pour ce qu'il est ? Telle est la question qui oriente ce travail. Il s'agit, dans la mesure du possible, de penser l'art en tant qu'art, et l'artiste en tant qu'artiste, autrement dit en tant que créateur d'idées artistiques provoquant des émotions esthétiques.
Aimer l'art pour ce qu'il est, c'est trouver le sens de l'oeuvre dans l'oeuvre même, se confondant avec sa beauté. L'oeuvre d'art, lorsqu'elle est conçue pour être jugée comme telle, s'adresse avant tout à une sensibilité esthétique ; c'est alors qu'on peut l'appeler "objet de beauté" .
Peut-on cerner la vie que nous vivons, l'ici et le maintenant d'une vie, à vif sans qu'elle soit obscurcie par le concept comme l'a fait la science de Galilée à nos jours ? Peut-on penser la vie sans risquer de la perdre ?
Michel Blay tente ici de montrer, faisant référence à la parole évangélique de Jean, à la mystique (Nicolas de Cues) et à l'architecture de Suger qui tente de magnifier la lumière dans la construction des cathédrales, comment la vie peut s'exprimer sans la médiation du concept qui la prive de sa « vitalité ». Ne nous désolons pas, n'espérons pas une autre vie, la vie est là, dans toute sa prégnance, et il suffit de se laisser envahir pour battre avec elle à l'unisson.
C'est sans doute en se mettant à l'écoute des poètes que nous pouvons entendre cette vie que nous vivons, toute puissante, jaillissante, charnelle, et ainsi sentir à nouveau en soi son épiphanie : « Prendre chair de l'oiseau, pour savoir le bonheur [...] Trouver toujours le monde entre son cri de peur / et son ravissement ».
« Je travaille pour le XXIe siècle. » Bonne raison pour y rendre de nouveau présente cette courte initiation qu'on m'avait demandée au siècle dernier. On était alors dans ces années de l'après-guerre, où par-delà les désastres et crimes imprescriptibles, chacun se refaisait tant bien que mal une santé et un moral, et tentait de redonner un sens à l'humain. Comme tout un chacun, je cherchais des réponses, des solutions, bref, un absolu, et qui - excusez du peu - se serait traduit en mots. Des mots, on en trouvait. La mode était à l'existentialisme, au marxisme, au personnalisme et autres mots en isme. Des mots, des mots, mais d'absolu, point. Tel, du moins, que je m'en faisais l'idée - ou l'image. Jusqu'au jour où me tomba entre les mains un livre de Jankélévitch. Nous étions en 1949 : c'était la première édition du Traité des vertus. Et si je ne craignais de pousser un peu loin le pastiche, je dirais que m'advint ce qui était arrivé à saint Augustin à qui l'on avait prêté des textes de Plotin et de Porphyre : ma façon de voir s'en trouvait changée du tout au tout. Je n'aurais de cesse, à mesure que passeraient les années, que je n'aie lu l'oeuvre en son entier. Mais sur le moment, comment aurais-je imaginé que onze de ces volumes me seraient offerts au cours des ans par leur auteur, avec un mot de sa main ?
Lucien JERPHAGNON
Faisant feu de tous les bois conceptuels (philosophie, histoire, psychanalyse, anthropologie, cinéma), ce livre interroge les états d'âme et les tourments qui refont chroniquement surface à l'approche de Noël, quand tout invite au contraire. Il n'a pas pour but de défendre ou de sauver Noël, ni d'en instruire le procès à charge, pas plus que d'en moquer le folklore ou d'en proclamer l'obsolescence.
Il ne milite ni pour sa sanctuarisation culturelle, ni pour son bannissement de nos coutumes. Il cherche à penser cette drôle de fête. Celle qui réunit les familles et les générations sous presque toutes les latitudes. Pour le meilleur et pour le pire. Souvent dans la joie, mais pas toujours dans la bonne humeur. L'alibi social des retrouvailles familiales est plus que tout source de tensions et de conflits. Et pour cause. Noël cèle la mesure intranquille de nos liens avec autrui et, au-delà, avec la vie.
On parle du JOUR de l'an et de la NUIT de Noël.
Étrange que Noël célèbre la nuit quand le Jour de l'an célèbre le jour !
C'est autour de ce paradoxe que Stéphane Floccari poursuit son aventure.
Trouvera-t-on dans ces pages des raisons d'être à la fête pour que Noël se profile comme une promesse de printemps au coeur de l'hiver.
« Toute ma philosophie a sa source dans mon coeur » écrit Vauvenargues ; et Auguste Comte affirme « la prépondérance du coeur sur l'esprit » et entend instaurer le « règne du coeur ». De là, ces Conversations avec Vauvenargues, Auguste Comte et d'autres auteurs, autour de la notion de coeur - comme ce qui dans l'homme est le plus sensible à autrui, à sa peine, à sa souffrance - et autour de tous les sentiments ou vertus qui ont leur racine dans le coeur, telles que la fidélité, la gratitude, la ferveur, la pitié, la générosité, l'admiration, mais aussi et surtout l'amitié et l'amour.
M.C.
Il n'existe pas d'humanité sans musique. Celle-ci vient à chacun en le précédant, en lui ouvrant son mode d'existence, en lui donnant forme et rythme. Nos affects, nos désirs et nos pensées sont musicaux. L'existence est musicale.
La musique constitue donc notre condition si bien qu'elle est plus intérieure et plus antérieure à nous que nousmêmes.
Comme nous, elle est sans origine assignable et sans commencement.
Ceci n'est donc pas un livre de musicologie. Pour le lire, nulle expertise n'est requise, seulement l'expérience d'exister.
Nous sommes nécessairement pris dans l'Histoire, ses contraintes d'époque, ses marques d'espérance et ses catastrophes. Que dit alors très concrètement la musique de nous, de nos existences actuelles et de l'Histoire ? Et, inversement, comment recevons et entendons-nous notre être-musical ?
Une autobiographie étrange, de laquelle je est absent.
Un petit garçon se présente, un petit il qui fait une rencontre décisive : lorsque l'hostie consacrée est présentée aux fidèles, tous tête inclinée devant ce qu'on ne peut regarder en face, il lève les yeux. Il voit... rien.
Ce rien sera le ferment de sa vie et de son oeuvre. Il soutiendra la construction d'une généalogie intime, à partir des désirs, des émotions, des accidents et des hasards.
Une hétéro-biographie plutôt, intense, d'où toutes scories ont disparu.
Vidit, il a vu.
Scripsit, il a écrit.
Vixit, il est mort.
Les différents essais qui composent ce livre, à la fois divers et uni, interrogent les grandes métamorphoses du monde. Il est question, tout d'abord, du long chemin qui a conduit de la mythologie archaïque - à travers la tradition gréco-romaine et judéo-chrétienne - à la technologie moderne et ultramoderne. Le passé de l'homme, son présent et surtout son avenir font problème : l'être humain est destiné à connaître un changement. Ensuite, c'est l'aventure de la technique scientifique devenue planétaire qui est scrutée. Partie de l'Europe, la technoscience s'universalise. Mais qu'en est-il de l'Europe ? Dans quel état se trouvent ses formations les plus importantes ? Ainsi est posée aussi la question de la fin de l'art, dans toute sa dimension poétique. Une même structure et une même histoire - comportant des dimensions multiples et complexes - englobent ce qui est, se fait, se défait. Enfin, si notre époque marque une certaine fin, une clôture, elle nous appelle également à une nouvelle ouverture, ici esquissée.
Quand point la nouvelle année, chacun se soumet au cérémonial des voeux, interminables et impersonnels (la sacro-sainte triade « santé-bonheur-réussite » !), auxquels se greffent les résolutions dans une cascade déprimante de « ne plus ! », dont presque rien ne subsiste quelques jours après. S'y ajoutent les rituels et les folklores qui, sous toutes les latitudes et dans toutes les cultures humaines, leur font écho. Chacun s'y prête à chaque fois (cette répétition donne le vertige) avec un enthousiasme inégal et qui décroît au fil des ans. Et si, à l'heure d'entrebâiller la porte de Janvier, qui restera close un an encore, il devenait urgent et vital de lever les yeux du compte à rebours universel, pour passer du trompe-l'oeil de la carte de voeux et de la vraie-fausse résolution au rendez-vous enfin pris avec soi-même ? Telle est l'invitation philosophique que ce livre adresse à tous ceux qui ont à coeur de ne pas laisser filer indéfiniment l'occasion de devenir ceux qu'ils veulent être.
On trouvera ici une réflexion sur le paraître, que la philosophie a coutume, de Platon jusqu'à Heidegger, d'opposer à l'être ou à ce qui existe (le réel). Cet essai se recommande au contraire de Parménide pour affirmer l'identité du paraître et du réel.
Platon appelait déjà son entreprise philosophique propre un « parricide » de Parménide, dans le dialogue qu'il lui avait consacré. Et parricide il y a bien. Il s'agit en effet chez Platon, pour des questions essentiellement morales, d'accorder l'existence non seulement à l'être mais aussi à l'autre, c'est-à-dire à ce qui n'existe pas.
Paradoxalement, les lecteurs contemporains de Parménide, voulant remonter à celui-ci avant sa négation par le platonisme, n'ont pas su se contenter du lapidaire « ce qui est est ». Ils ont prétendu y voir une distinction entre l'existence et l'être, ou encore entre l'apparaître et la vérité.
Ce parricide n'a donc vraisemblablement pas suffi à faire taire la sentence parménidienne qui invite à faire bon accueil à l'existence ; on en refait régulièrement le rituel. Cet essai propose d'aller à rebours.
Le matérialisme a toujours fait problème, étant donné les enjeux idéologiques et politiques qu'il a impliqués et qu'il implique toujours. Je voudrais d'abord l'examiner en lui-même et le justifier à partir des différentes manières que l'on a d'appréhender le réel sur sa base, qui sous la forme de plusieurs niveaux que l'on est en droit de hiérarchiser, pour une large part tout au moins, comme ce vocable l'indique. Et à chaque fois, l'on s'apercevra que ce qui est en jeu, c'est l'existence de la matière, la conception que l'on doit s'en faire, son extension, et, bien entendu, notre capacité de la connaître et d'en expliquer les diverses formes, des plus humbles aux plus hautes. L'examen de ses limites éventuelles - je dis bien : éventuelles - dans l'ordre de la compréhension que le matérialisme peut nous fournir (ou pas) des diverses formes de la réalité, ne pourra avoir lieu qu'après, lorsqu'on le confrontera à différentes questions comme la foi religieuse, l'art, la dimension métaphysique des choses (si elle existe) et, question finale, celle du Sens (avec une majuscule).
Mais j'ai en vue de présenter une dernière fois, d'une manière synthétique et systématique, ce qu'il en est de ce fameux matérialisme et de sa valeur théorique intrinsèque - quitte à rappeler parfois des travaux antérieurs dans lesquels des justifications supplémentaires, mais sectorielles, sont apportées à mes thèses. Et je le ferai sans faux-fuyants. C'est pourquoi j'ai tenu aussi à envisager lucidement la question des limites éventuelles de l'ontologie matérialiste, quitte à surprendre et à la rendre plus modeste, mais aussi plus convaincante dans son ordre propre.
Ce troisième volet cherche, historiquement, systématiquement et prospectivement, à interroger le sens de la marche de l'histoire mondiale, à questionner les grandes dimensions de la pensée et du monde et à ouvrir la problématique d'une nouvelle voie. Au début des années soixante, bien loin encore de la mondialisation actuelle, la pensée « planétaire » que lançait Kostas Axelos avait de quoi surprendre.
Pourtant cette pensée énigmatique et questionnante saisit bien vite cette modernité européenne qui déjà conduisait vers sa propre universalisation, sa mondialisation et son dépassement. D'une manière incisive et prémonitoire, cette pensée « planétaire » se penche sur les grandes traditions qui se déploient dans l'espace-temps, dévoile l'actualité et la vigueur des présocratiques, pour examiner par la suite le logos fondateur de la dialectique par rapport aussi au vivant, au mouvement et la graphie. La pensée fragmentaire de la totalité chez Pascal, Rimbaud et la poésie du monde planétaire, Marx et la question de la philosophie marxiste, Heidegger et le problème de la philosophie, Freud ou la politique planétaire, sont des thèmes qui se déploient dans les divers chapitres de ce livre dont l'auteur a très vite vu et affronté la provocation que lance la technique à l'égard de tout ce qui est.
L'auteur propose de relire d'une manière entièrement nouvelle le Discours de la Servitude volontaire d'Étienne de La Boétie, en mettant l'accent sur la force interrogeante du texte, plutôt que sur les réponses que les lectures habituelles y trouvent. La portée philosophique de ce texte court écrit par un génie âgé de dix-sept ans est ainsi dégagée, sans pour autant négliger les aspects sociologiques et psychologiques mieux connus. Ce qui compte, finalement, dans le Contr'Un, en plus de l'appel à la révolte politique et économique que les lecture marxistes et libertaires ont reconnu en lui à l'époque romantique, c'est de creuser plus profondément la question de savoir pourquoi nous nous soumettons, pourquoi nous obéissons, ce que nous attendons de l'État et plus encore des nombreux pouvoirs qui « prennent soin » de nous en notre époque contemporaine. Y a-t-il un sens à leur obéir « volontairement » ? Que cache ce rapport complexe que nous entretenons avec ces instances qui exercent sur nous une domination ?
Dans le tome premier, le lecteur trouvera rassemblés les travaux de Clémence Ramnoux rédigés à la fin des années cinquante et au début des années soixante, moment où l'helléniste se penche sur la figure d'Héraclite d'Éphèse, philosophe de la fin du VIe siècle av. J.-C., à la pensée mouvante, évoluant en des antagonismes conciliés dans une unité supérieure (Héraclite ou l'homme entre les choses et les mots, version augmentée de Vocabulaire et structures de pensée archaïque chez Héraclite). Clémence Ramnoux évite ainsi de lire les fragments d'Héraclite, d'après la doxographie, selon la division traditionnelle - cosmologie, anthropologie, logique - et propose une nouvelle méthode en groupant les formules de mots. Ce qui l'a amené à enquêter, d'une part, sur le couple Nuit-Jour et les théogonies dans la littérature de la Grèce archaïque (La Nuit et les enfants de la Nuit), et à comprendre, d'autre part, comment l'homme grec concevait son rapport au temps - avec les principales divinités qui se sont succédées au fil des générations -, mais aussi dans l'espace, ce cosmos sans cesse en péril mais que le mythe et le rite garantissent (Mythologie ou la famille olympienne).
Le jeu du monde se joue à travers les grandes puissances qui relient l'homme au monde - mythes et religion, poésie et art, politique, philosophie, sciences et techniques -, elles-mêmes, mises en mouvement par les forces élémentaires : le langage et la pensée, le travail et la lutte, l'amour et la mort, ainsi que le jeu de l'homme qui est joueur, jouet et déjoué. Le jeu "est" le jeu de l'être en devenir de la totalité fragmentaire et fragmentée du monde multidimensionnel et ouvert, il se déploie comme Dieu-problème, monde cosmique, homme dans le monde, histoire mondiale, être-néant, tout-rien, monde-immonde.
Le jeu du monde contient et dépasse - en tant qu'horizon sans fond - tout jeu dans le monde, il broie et embrasse tous les jeux et toutes les règles, toutes les transgressions et tous les calculs, toutes les significations et toutes les interprétations, toutes les vérités - figures triomphales de l'errance. Jeu du temps, il supporte toutes les lectures massives ou cassées qui en sont données, mêmes celles qui l'occultent, et il révolutionne toutes les appellations.
"Il" semble exiger pour être dit une pensée questionnante et planétaire, un langage à la fois encyclopédique et aphoristique, une écriture systématique et fragmentaire.
Étrange personnage que Pierre Nicole. La postérité l'a rangé parmi les deuxièmes rôles de Port-Royal, une sorte de permanent du parti janséniste.
Il a secondé le grand Arnauld, instruit Racine dans les Petites Écoles, aidé Pascal et traduit en latin ses Provinciales. Fidèle entre les fidèles, et en même temps mal à l'aise dans cette atmosphère de fronde et de résistance que représente le milieu de Port-Royal, au sein de la France du XVII e siècle, ce latiniste timoré ne songeait qu'aux Moyens de conserver la paix avec les hommes - titre de l'un de ses essais les plus célèbres.
Dès que les tensions semblent s'apaiser, pendant la trêve appelée « la Paix de l'Église », Nicole peut enfin laisser libre cours à sa vocation de moraliste et de psychologue. Il publie, volume après volume ses Essais de morale : le succès sera tel que le libraire, après la mort de Pierre Nicole, s'ingéniera à en augmenter la série jusqu'à atteindre vingt-cinq volumes.
Depuis la fin du XVIII e siècle, ce classique de la littérature morale était devenu pour ainsi dire inaccessible. On en publie parfois quelques pages choisies, défigurées par les coupures et les corrections. Il est proposé ici au lecteur moderne de redécouvrir dix essais de Nicole, donnés dans leur intégralité. Certains nous replongent dans les principes moraux d'un autre âge (et tirent de cet exotisme une part de leur valeur). D'autres présentent les qualités de finesse, le piquant, le goût du paradoxe qui ont longtemps fait juger Nicole comme un des grands représentants, à côté de Pascal et de La Rochefoucauld, de la littérature morale classique.
L'oeuvre morale de Nicole s'avère ainsi demeurer passionnante pour un lecteur moderne, au moins à trois égards : 1/ ses considérations sur l'amour-propre, qui constituent les premiers jalons d'un utilitarisme économique ; 2/ ses réflexions sur la sociabilité et une approche originale de la civilité ; 3/ ses observations pédagogiques, émanant d'un des principaux maîtres des Petites Écoles de Port-Royal.
Ce troisième volume élargit la critique de l'expressivité, au profit de la notion d'apparence, à l'art en général, à la politique et à la philosophie.
Le livre commence par un prologue où l'on montre que la recherche, issue de la tradition herméneutique judéo-chrétienne, d'un sens dissimulé et mystérieux de la réalité s'oppose à la vision, grecque, selon laquelle la réalité est déjà elle-même sa signification.
C'est cela que désigne le terme d'apparence.
Le premier chapitre met en oeuvre la critique de l'expressivité dans l'art, pris comme moyen de communication au même titre que de dissimulation d'un sens.
Le deuxième chapitre critique la politique et la morale qui se déduisent de la perspective expressionniste.
Le dernier chapitre fait état des formes philosophiques dont la notion d'expression semble être la clef de voûte et expose à leur encontre une esquisse de philosophie des apparences.
Puisque la littérature est la porte d'entrée, c'est par là que nous avons commencé à correspondre, par ses récits où il livre moins de lui qu'il ne parle d'un autre qui est devenu - sujet et langues qui se sont emparé du premier moi le rendant méconnaissable pour lui-même. C'est donc de l'enfance aussi qu'il est question en même temps que de naissance à l'écriture. Où des figures bientôt s'invitent, des corps et d'autres écrivains qui font venir d'autres corps tour à tour morts et vifs, de l'histoire et de l'amour (des corps amoureux que l'histoire, la violente histoire et la mort ont produits). Des récits aux essais jusqu'à la question de l'écriture politique dont la revue Lignes est le laboratoire encore aujourd'hui, c'est au portrait d'un homme et d'une pensée qu'on aboutit - sans que ni l'homme ni la pensée ne se satisfassent de l'image qu'ils sont susceptibles de donner, insistant plutôt dans l'absence d'une satisfaction de soi et dans l'exigence de ne rien fonder. Michel Surya parle de l'écrivain qu'il est « à son détriment », de la vie, des rencontres et des oeuvres que cette sorte de dépossession autorise et a permis. Et elle a permis beaucoup.
À force de trop communiquer, de pratiquer le métier d'écrivain, il arrive que la société brise en celui qui s'en est confié la tâche la fragilité sans laquelle il ne retourne pas là où il s'est appelé. L'écrivain s'épuise alors à communiquer, au dialogue, il épuise l'écriture par la bouche qui reprend son pouvoir sur la puissance silencieuse de l'existence littéraire. Il devra alors à nouveau se retourner, se retirer.
Dans une époque qui exige de chacun la pleine visibilité, la publicité de soi et de son art, ces entretiens que nous avons menés sur un peu plus d'une année résonnent pour moi, et je le souhaite pour ceux qui nous liront, comme l'appel à retourner. À retourner là où on doit se séparer (des êtres, de soi), se détourner de la réalité pour répondre à ce qui forme la condition impérieuse d'une autre vie dans laquelle on peut enfin séjourner.
Défense d'écrire est donc, malgré ce que son titre semble indiquer, une invitation à écrire.
Marquant les derniers mots d'un penseur qui n'a jamais cessé de se confronter aux questions du monde, du temps, du jeu, de la technique, En quête de l'impensé se veut le témoignage de qui, au seuil de la mort, s'attache à scruter le secret des secrets, porté par le souci de ce qui meut l'homme contemporain à une époque régie par la rationalité technique. Il en va ici de la question de l'impensé qui submerge et interpelle l'homme, de cette énigme du temps qui demande à être scrutée par ce fragment pensant du monde, taraudé par l'angoisse, pris dans l'histoire mondiale et jeté dans l'aventure techno-scientifique. Il y va de la quête de cet impensé qui suppose un éveil et une audace, mais également le pâtir et l'agir de ces « penseurs poétiques qui ont laissé derrière eux la plate recherche du bonheur ». C'est cette angoisse fondamentale que la pensée d'Axelos nous propose ici d'assumer, nous montrant qu'il est possible de frayer, en en faisant l'épreuve de manière radicale, le chemin d'une sérénité vibrante, renouvelée.
Ce livre pose un diagnostic sur notre époque - présentée comme celle du crépuscule du théorique. À ce titre, il ose une grande fresque décrivant la situation actuelle des activités liées au « théorique » dans le contexte politique, social et d'abord économique qui est le nôtre aujourd'hui, en particulier en France. Il évoque des faits et des événements concrets (la réforme de l'Université, l'évolution des choix de filière des étudiants, les changements d'orientation des programmes de l'enseignement secondaire, etc.) tout en dégageant du même mouvement la signification profonde du théorique comme valeur (en mathématiques, en philosophie, en littérature, etc.) grâce, précisément, aux outils forgés dans les oeuvres antérieures de l'auteur. Une telle démarche porte celui-ci à plaider, après Lyotard et Levinas, pour la prise en compte de la dette et de l'obligation « envers quelque chose d'immémorial et de plus grand que nous » et à examiner du même mouvement la tension entre une telle dette et une politique de l'émancipation des individus.
Au bout du compte, l'hypothèse de départ est « que nous pourrions avoir une inquiétude radicale, ne portant pas sur le sort des lettres et sciences humaines, ou sur celui de la poésie, mais sur celui de l'attitude théorique elle-même, dans sa pureté et sa généralité ».
L'auteur veut, pour ainsi dire une dernière fois, « faire entendre que la cause du théorique est, à sa manière propre, la cause de l'humanité, une des manières de vouloir pour les humains la vie la plus humaine ».