« On dit parfois, avec irritation ou avec un brin de satisfaction, que la philosophie ne fait aucun progrès. C'est certainement vrai, mais je pense que le fait que la philosophie doit toujours, en un sens, s'efforcer de reprendre les choses à la base n'est pas un accident regrettable, mais un trait qui appartient à la structure de la discipline. Or l'entreprise n'est pas des plus faciles. Il y a en philosophie un double mouvement : l'un qui progresse vers la construction de théories élaborées, et un autre qui revient sans cesse à la considération de faits simples et évidents. Par exemple, McTaggart déclare que le temps n'existe pas, et Moore lui répond qu'il vient de prendre son petit-déjeuner. Philosopher requiert l'un et l'autre mouvement. »
Les formes de vie contemporaines sont marquées par l'impuissance, hôte importun de nos journées infinies. Que ce soit en amour ou dans la lutte contre le travail précaire, l'amitié ou la politique, une paralysie frénétique saisit l'action ou le discours quand il s'agit de faire ou de dire ce qu'il conviendrait de dire et faire. Mais, paradoxalement, cette impuissance semble due non pas à un déficit de nos compétences, mais plutôt à un excès désordonné de puissance, à l'accumulation oppressante de capacités que la société contemporaine arbore comme autant de trophées de chasse accrochés aux murs de ses antichambres. Virno poursuit ici son étude systématique du langage contemporain où s'exprime toute la complexité de notre modernité et qui témoigne de cette inversion des sens qui attribue la puissance au renoncement, ou la détermination au fait de taire ce qu'il nous faudrait dire. Livre sur le langage, De l'impuissance indique de loin les formes possibles d'un antidote, d'une voie de salut, qui nous ferait « renoncer à renoncer », et « effacer l'effacement de notre propre dignité».
«Lequier, à toi toujours !» s'écrie André Breton dans Nadja et Xavier Tilliette ajoute: «Lequier est un des rares philosophes qui font aimer d'emblée la philosophie, par le frémissement qu'il communique, par ce langage direct, inhabituel.» C'est dire combien nous espérons que cette nouvelle édition en poche pourra permettre un retour à Lequier, qui a posé en des termes inégalés la question de la liberté dans son rapport à la foi : Je suis libre. Je suis, par-delà ma dépendance, indépendant, je suis une indépendance dépendante; je suis une personne responsable de moi, qui suis mon oeuvre, à Dieu qui m'a créé créateur de moi-même.
Le volume comprend : Comment trouver comment chercher une première vérité?, Abel et Abel, Une notice biographique, L'incommunicable secret caché sous ce mot 'Nous'.
Le livre de Xavier Tilliette sur Jules Lequier a été le premier ouvrage d'envergure qui a tenu compte des travaux consacrés à Lequier depuis l'édition des oeuvres en 1952. Il replace cette oeuvre atypique dans le contexte d'une «philosophie chrétienne», dont on a pu dire qu'elle n'existait pas plus que la «mathématique chrétienne». Tilliette inscrit l'oeuvre de Lequier dans une réflexion philosophique et religieuse, où la question de la liberté est posée en même temps que celle de la foi, et qui trouve une résolution tout à fait originale par rapport aux philosophies rationnelles de la liberté et aux philosophies religieuses de la foi. L'authenticité de ma foi dépend de ma liberté! Et c'est à ce titre que la pensée de Lequier accomplit une véritable révolution dans le christianisme.
La découverte de l'oeuvre de Benjamin fut, pour Michael Löwy, une émotion qui a ébranlé bien des convictions et dont l'onde de choc s'est ressentie pendant plus de 40 ans dans toute sa recherche sur les formes hétérodoxes du marxisme en Europe ou en Amérique latine. À la vision marxiste d'une révolution comme «locomotive de l'histoire», roulant inexorablement vers le «progrès», Benjamin propose une version de la révolution «comme frein d'urgence», annonçant une critique du progrès et de la croissance, qui se développera plus tard dans la pensée critique. Les 9 essais rassemblés ici se concentrent sur la dimension révolutionnaire de l'oeuvre de Benjamin, où s'imbriquent une approche inspirée d'un matérialisme historique non orthodoxe et des conceptions issues du messianisme juif.
Le livre de Bertocchi revient sur la question lancinante de Sur la Question juive du jeune Marx. Le pamphlet a fait couler beaucoup d'encre et de larmes sur le supposé 'antisémitisme' de Marx et, par ricochet, de la gauche tout entière. La psychanalyse a parlé de haine de soi et les historiens ont invoqué l'air du temps pour expliquer une position qu'il faut replacer dans un ensemble de textes de la même époque, dont la cible est principalement la société bourgeoise capitaliste. Sur la Question juive dérange parce que le texte procède plus par invectives que par démonstrations et semble vouloir régler des comptes pour lesquels l'auteur manque d'argumentation, au point que le « Juif » de Marx finira par disparaître comme figure et principe de l'égoïsme bourgeois dans les oeuvres à venir.
Qu'est-ce que la haine ? Est-elle "irrationnelle" ? Peut-elle être bonne ? Et peut-on en parler sans céder à l'inévitable pathos que semble appeler ce genre de sujet ? Ruwen Ogien montre ici que la haine est une "relation" qui possède sa "logique" et que «si la haine est répugnante, ce n'est pas parce qu'elle est irrationnelle », mais parce qu'elle est intrinsèquement mauvaise.
Réédition en poche du premier livre de Ruwen Ogien, aussi logico-philosophique que facétieux, paru en 1993, et dont le sujet semble avoir eu ces dernières années des "applications" nouvelles, qui seront évoquées dans la préface à cette nouvelle édition.
Le verbe Avoir est au coeur de notre langage.
Nous disons continuellement que les êtres humains ont des pensées, des expériences, ou encore qu'ils ont peur ou soif. Quelles implications se cachent derrière ces phrases familières ? En suivant les aventures de l'avoir, Paolo Virno nous entraîne dans un voyage à l'intérieur de la nature du langage et de l'humain. Celui qui a quelque chose ne se confond jamais avec ce qu'il est. Cet écart entre ce que l'on a et ce que l'on est nous fait réfléchir sur nous-mêmes, sur ce que nous faisons et dont nous avons conscience. Mais c'est aussi par là que nous sommes libres d'abandonner ce dans quoi nous ne nous reconnaissons plus, et de désirer ce que nous n'avons pas encore : un ami intime, une vie plus gratifiante, une communauté.
Les Thèses « Sur le concept d'histoire » de 1940 sont le dernier écrit de Walter Benjamin et constituent peut-être le document le plus significatif dans la pensée critique du XXe siècle. T exte allusif, sybillin, dont l'hermétisme est constellé d'images et d'allégories, semé de paradoxes, traversé d'intuitions. Ce livre en propose une étude au mot à mot. Là où d'autres ne voient que contradiction ou ambiguïté, il met en évidence une cohérence fondamentale, dont la clé est constituée par la fusion de trois discours hétérogènes: le romantisme allemand, le messianisme juif, le marxisme révolutionnaire. Echappant aux classifications dans lesquelles on a voulu le ranger, Benjamin est en cela un auteur qui dérange.
Le doute prend aujourd'hui des formes multiples et hante des domaines aussi variés que l'éthique, la science ou la métaphysique, jusqu'à interroger la moindre de nos certitudes. Aux formes contemporaines du " défi sceptique" correspondent pourtant différentes réponses philosophiques. Les pragmatistes, au premier rang desquels Peirce, James ou plus récemment Putnam, ont pris toute la mesure de ce défi et proposent des parades originales. À quelles conditions pouvons-nous douter? Quand décidons-nous de croire? Que percevons-nous du monde extérieur? Se pourrait-il que nous puissions douter du doute? L'objet de ce livre est d'analyser ces questions et d'apporter des réponses tangibles aux assauts toujours renouvelés du scepticisme contre l'édifice fragile de notre vie sociale.
Martin Buber a développé tout au long de sa vie une pensée de la relation "face à face", notamment dans Je et Tu (Aubier, 1969), préfacé par Gaston Bachelard, dont les implications philosophiques et politiques sont immenses. Ce dialogue s'inscrit toutefois dans une réflexion menée autour de la notion de « communauté », quand il fréquente les cercles anarchistes de son ami Landauer qui furent à l'origine des premières communautés agricoles libertaires et qui jetèrent les bases de ce qui deviendra le mouvement des kibboutz. Nous avons rassemblé dans ce volume, présenté par Dominique Bourel, cinq essais inédits en français de Buber sur l'idée de Communauté, où l'on verra surgir bien des questions qui aujourd'hui taraudent notre société contemporaine.
L'usage de la vie et autres sujets d'inquiétude est une édition en poche d 'Opportunisme, cynisme et peur (L'éclat, 1991), mais très largement augmentée puisque le volume rassemble, autour de cinq essais principaux, 18 autres essais inédits, publiés en Italie entre 1981 et 2015 et qui rendent compte d'un parcours philosophique parmi les plus intéressants de la péninsule. C'est la très grande originalité de Virno de faire se rencontrer des questionnements à priori étrangers les uns aux autres: ainsi la disparition des flippers est associée à la grande transformation industrielle des années 80, le joueur de poker est apparenté à l'intellectuel précaire, etc. Ainsi une certaine philosophie du langage s'introduit dans nos outils quotidiens pour comprendre le monde.
Les quatre livres rassemblés sous le titre Philosophie infinitive sont l'aboutissement de plus de vingt années de recherche sur la langue infinitive et sur les possibilités qu'elle offre à notre manière de voir le monde.
1. Penser à être, pour le verbe être et le verbe dire, 2. Penser à croire, pour croire et pour vouloir et pouvoir, 3. Penser à penser, pour ce verbe et pour se libérer, et 4.
Penser à vivre, pour vivre et pour souffrir et aimer, où passent et repassent un peu plus de 1 700 verbes et quelques poignées de conjonctions et de prépositions. Ainsi, la somme des 1700 actions à la puissance 1700, combinées possibles de cette humaine comédie des verbes ouvre des perspectives de pensée infinies pour la philosophie.
Devant l'histoire rassemble, entre deux grands textes de Fondane sur sa philosophie de l'histoire, deux corpus d'articles, dont quelques-uns inédits en français, qui témoignent de son engagement tous azimuts dans le champ de la culture, hors de toute chapelle. Farouche défenseur d'une liberté sans dogmes, avertissant le siècle, il évite les écueils sur lesquels elle viendra s'échouer tout au long du premier 20e siècle, et dénonce ses fossoyeurs, qu'ils se travestissent en écrivain populaire (Céline) ou se convertissent subitement au stalinisme (Gide). Mais ce qui ressort de cet ensemble, c'est, outre la précision de sa pensée, son extaordinaire écriture incisive, qui dessine les contours du foisonnement intellectuel d'une époque que balaiera définitivement la Seconde Guerre mondiale.
« À vous qui êtes et qui, étant, désirez être davantage, n'étant jamais assez, étant peut-être trop, Et à vous qui n'êtes pas et qui voulez simplement être, ou qui hésitez à être, Et aussi à vous qui ne croyez et ne désirez rien de particulier à propos d'être, qui ne pensez pas à être, mais qui ne voudriez pas manquer une occasion d'en rire, À tous... » cette 'Lettre aux inexistants' qui ouvre un nouveau volet dans l'oeuvre infinitive de Fournier, où il est question d'être et de s'engager à être, aux prises avec l'abîme de n'être pas, ou plus, sans avoir été, et avec la question du nom de l'Être sous laquelle la philosophie l'a l'abordée. Un chemin revisitant les grands textes, de Platon à Wittgenstein, pour expérimenter la question autrement vivante et sauvage, qui est d'être avant d'avoir.
Le concept fonctionne comme un piège mis en place par l'homo sapiens et dont il anticipe le fonctionnement par ses représentations picturales sur les parois de sa caverne.
Théorie de l'inconceptualité est un essai posthume de Hans Blumenberg, prolongement de sa métaphorologie et dans lequel l'auteur dévoile également les principes d'écriture qui ont présidé aux "Concepts en histoires" qui paraissaient alors en feuilleton dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Comment le concept surgit de l'écriture et échappe à la théorie, semble dire Blumenberg, toujours méfiant à l'égard de toute catégorisation hâtive de la pensée. L'ouvrage est, évidemment, complémentaire des Concepts en histoires qui paraît simultanément.
Le texte est préfacé par le philosophe et traducteur Marc de Launay.
Depuis quelques années, avec le développement de la neuroscience, de la neuroimagerie, la neuropsychologie, on accorde une place toujours plus grande au cerveau, qui régenterait non seulement notre pensée, mais aussi nos émotions, nos doutes, nos amours, etc., au point que ce n'est plus tant l'humain qui pense, est ému, doute, aime etc., mais la « matière cérébrale », promue au rang d'ordonnatrice de nos vies et de nos espérances. La médecine neuroenthousiaste emboîte le pas et dresse une carte du cerveau qui ressemble de plus en plus à la carte du T endre d'une Melle de Scudéry devenue neurologienne. Après Creuser la cervelle, E. Fournier dresse un réquisitoire sans appel contre ce nouvel ordre cérébral qui nous prépare un monde d'écervelés à la merci des Pères Ubu de la neuroquelquechose.
Concepts en histoires est un ouvrage posthume du philosophe allemand Hans Blumenberg qui rassemble, à partir de "billets" parus dans le feuilleton littéraire de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, des 'histoires de concepts' où l'anecdote cocasse se mêle à la réflexion théorique sur les concepts et la difficulté de les formuler. A côté d'une oeuvre philosophique exigeante, les histoires au jour le jour de Blumenberg révèlent un véritable écrivain, proche, par le style et l'intelligence, de son cadet et compatriote W.G. Sebald avec qui il partage un profonde pessimisme quant à la 'reconstruction" de l'Allemagne post nazie, et dont les billets de la FAZ dénoncent les piétinements.
Peut-on restaurer la nature comme on restaure un monument ? Dans un contexte d'urgence environnementale, surgissent ainsi des lieux hybrides : forêts reconstruites, écosystèmes reconstitués, zones "naturelles" protégées, alimentant le mythe d'une nature retrouvée. Du fait de cette double appartenance, ils témoignent, pour une conception étroite de l'écologie, d'un accroissement de la mainmise de la technique humaine sur l'environnement.
Mais à ce mythe d'une nature intacte, le livre oppose un point de vue fondé non plus sur un absolu de nature, mais sur l'idée d'un soin responsable apporté par l'homme. S'impose alors le concept d'artefact naturel (comment définir un nid d'oiseau fabriqué par un humain, par exemple ?), qui ouvre des perspectives inédites pour la philosophie de l'environnement.
Le but de cet ouvrage interdisciplinaire, qui réunit des germanistes, des historiens et des philosophes, est d'interroger l'expérience du passé, au double sens d'un enseignement qu'on peut en tirer et des diverses manières dont celui-ci est vécu et impacte le moment présent. Que signifie, en fonction des époques et des contextes, l'idée qu'il y ait des "leçons de l'histoire" ? Fait-elle toujours sens aujourd'hui ? Sans prétention à l'exhaustivité, il s'agit de donner plusieurs coups de projecteurs, à des périodes très différentes (de l'Antiquité au XXe siècle), sur le thème de "l'histoire maîtresse de vie" ("historia magistra vitae"), sur l'utilisation ou l'instrumentalisation de l'histoire à des fins politiques, et sur la question, chère à Walter Benjamin, de l'actualité du passé.
La littérature peut-elle contribuer de façon significative, et peut-être mieux que la sociologie, à la connaissance de la réalité sociale? se demandent deux sociologues. Peutelle même apporter des éclairages qui vont au-delà des acquis des sciences sociales? A travers l'étude de différents textes littéraires, de Huysmans à Ahmadou Kourouma, de Brecht à Umberto Eco, de Borges à Alison Lurie, Löwy et Dianteill explorent les richesses du corpus littéraire quand il s'agit de comprendre le monde, et les phénomènes religieux.
Après les "approches classiques", les "approches insolites", les "approches dissidentes", voici l'approche littéraire de la sociologie des religions qui complète ce cycle initié aux PUF en 2003.
L'un des derniers mécanismes grammaticaux que l'enfant assimile quand il fait l'apprentissage du langage, c'est la négation. "Non, ne...pas" est la dernière chose qu'il maîtrise et cette maîtrise signale son entrée dans le monde. Paradoxalement, le "Non" affirme donc l'existence du monde et la négation a ainsi un statut tout à fait particulier, qui fait dire à Paolo Virno, dans cet essai brillant, que "la négation c'est l'argent du langage", parce que c'est elle qui donne sa "valeur" à l'affirmation. Après les essais sur la question du possible (Le souvenir du présent), la régression à l'infini (Et ainsi de suite), ce troisième volet sur la négation achève un cycle sur les fondements logiques de la métaphysique.
À l'anesthésie du vivant qui frappe déjà nos sociétés, vient s'ajouter une amnésie sournoise, effet d'une glorification de l'instant présent (immédiatement posté), qui nous fait nous demander à partir de quand peut-on dire que nous sommes déjà morts, alors que notre corps, décomposé en pixels, recomposé de mémoires artificielles, et bientôt même cryogénisé, doit répondre encore aux injonctions exclusives du présent, sans cesse rebooté, reseté, reformaté. L'aurait-on retrouvée, enfin, l'éternité ?
Ce leurre, parmi d'autres, profite aux dispositifs de pouvoir qui voient d'un oeil mauvais les débrayages du cours du temps, les écarts et les lenteurs du devenir, les retours en arrière qui sont des avancées. Ce sont pourtant à ceux-ci qu'appelle Après la mort, portes ouvertes sur la vie.