Pourquoi « dialoguer » avec l'Orient ? Le dialogue se serait-il rompu ? A-t-il d'ailleurs jamais réellement existé ? Les divisions renforcées du monde d'aujourd'hui nous invitent, sans doute, à remanier les schèmes de la Renaissance, pour les dépasser.
Cette époque signe en effet un rapport fécond entre Orient et Occident, notamment grâce à deux foyers du platonisme, celui de Perse et celui de la Renaissance florentine, pouvant s'articuler au-delà des territoires et des siècles. C'est en convoquant Marsile Ficin, Sohravardî, Nicolas de Cues, Rûzbehân, Pic de la Mirandole, Ibn Arabî et Giordano Bruno, que Cynthia Fleury relit ces échanges et reformule nos héritages communs.
Dans les débats vifs et nourris sur le religieux, parler de vérité contribue rarement à une meilleure compréhension du phénomène. Les intégristes de tous poils, religieux ou scientistes, qui cherchent à lier ou opposer trop facilement religion et vérité, brouillent la réflexion.
Pour ne pas renoncer au devoir d'examen rationnel et philosophique de la vie religieuse, cet ouvrage défend d'abord la pertinence du recours au concept de vérité pour l'analyse des croyances religieuses. Mais la prise en compte de la pluralité des religions suscite le doute et modifie notablement la réflexion. Une seule religion peut-elle réellement prétendre à la vérité ? À moins que plusieurs puissent y prétendre malgré leur apparente incompatibilité ? Ne faut-il pas plutôt déplacer le débat et distinguer des thèses métaphysiques sur Dieu ou la réalité ultime et des croyances et pratiques variées propres aux différentes traditions religieuses, la vérité ou fausseté des premières étant l'objet de l'argumentation philosophique tandis que les secondes ne posent pas problème en tant que telles ? Se pose alors la question difficile du mal et du silence de Dieu. Et finalement, même une pragmatique du religieux n'offre probablement pas de solution satisfaisante. C'est à un scepticisme religieux qu'invite cet ouvrage : le jugement reste en suspens en attendant une éventuelle décision.
Mené sous la forme d'une enquête épistémologique et métaphysique, Yann Schmitt propose ainsi un parcours stimulant à travers les débats foisonnants de la philosophie contemporaine des religions.
Il n'est pas de société humaine qui n'ait soulevé la question de ses origines. Notre propre culture ne fait pas exception. Mieux?: elle se singularise par la pluralité des discours d'origine qui y circulent. Véritable originologie, la présente enquête identifie quatre types de discours d'origine?: les discours mythiques (comme la Genèse)?; les discours rationnels (de Thalès à Auguste Comte)?; les discours scientifiques (Big bang, origine de la vie, origine de l'homme, etc.)?; et, enfin, les discours phénoménologiques (qui mobilisent, dans le sillage de Husserl, la notion d'«?originaire?»). Sont ainsi examinées les diverses façons par lesquelles il nous est donné de parler de ce qui fût avant toutes choses. Thèse dans la thèse, il est montré que c'est la biologie qui a ouvert la voie à la physique pour l'élaboration de discours d'origine de type scientifique et non l'inverse. Pascal Nouvel invite ainsi le lecteur à l'analyse détaillée de ces discours et des rapports multiples, de légitimation ou de délégitimation, qu'ils entretiennent entre eux, y compris dans leurs dimensions éthiques, sociales et politiques.
Logos et Lemme, oeuvre de maturité du philosophe japonais Yamauchi, nourrit l'ambition de relier ces « deux ailes de la pensée mondiale » que sont l'Orient et l'Occident.
L'auteur propose ainsi de faire se rencontrer la pensée occidentale, qu'il identifie au logos grec, et la pensée orientale, dont il voit le principe dans le lemme, soit ce que l'on saisit intuitivement ou que l'on se donne pour acquis afin de poursuivre un raisonnement.
Si, en effet, d'Aristote à Kant, le logos se manifeste par une logique ramenée au principe d'identité, au principe de (non)contradiction et au principe du tiers exclu, Yamauchi entreprend de montrer que le lemme représente un mode de pensée de plein droit, qui prend notamment la forme d'une discipline mentale rigoureuse dans le bouddhisme du Grand Véhicule. Il en trouve le modèle dans le Traité du milieu de Nagarjuna, qui incorpore le lemme dans un raisonnement en quatre moments - le tétralemme, lequel enveloppe, selon le philosophe japonais, le tableau complet de l'esprit humain.
Parcourant de manière à la fois érudite et spéculative le champ mondial de la pensée, l'auteur convoque et interroge la logique d'Aristote et le bouddhisme indien, Parménide et le taoïsme, la dialectique hégélienne et la philosophie de Nishida, faisant dialoguer le rationalisme occidental et la pensée « lemmique », en vue de bâtir par-delà les déchirures tragiques du XXe siècle un véritable pont entre l'Orient et l'Occident.
Aurais-je pu vivre une autre vie que la mienne?? Aurais-je pu m'appeler autrement, vivre dans un autre pays?? Après tout, je suis ce que je suis et si j'avais été quelqu'un d'autre, je n'aurais justement pas été moi. Ces questions considérées comme la source de faux problèmes n'ont pas bonne presse en métaphysique. Avoir plusieurs vies possibles, c'est exister dans plusieurs mondes possibles. Mais un individu à cheval sur plusieurs mondes possibles n'existe dans aucun entièrement?: il est donc, à strictement parler un individu impossible. Mais peut-on, et doit-on renoncer à suivre cet individu impossible?? Ce livre fait le pari qu'il a bien quelque chose à nous apprendre sur ce que veut dire être soi.
Anthony Feneuil laisse résonner cette question des vies possibles. Retravaillant la conception chez Locke de la conscience comme pouvoir de (se) fictionnaliser, il montre les limites des conceptions métaphysiques de la personne. La sortie du champ philosophique, par le cinéma et la théologie, relance la réflexion et suscite une question d'éthique fondamentale?: jusqu'où s'étend le concept de personne?? Quels êtres peuvent y prétendre et devenir ainsi l'objet de notre considération éthique?? Le cinéma de Rohmer et la théologie eucharistique présentent tous deux des manières de mettre en scène l'individu impossible, dont la philosophie peut se nourrir pour essayer de le penser.
Une échappée hors du questionnement philosophique traditionnel. Et si l'individu impossible avait quelque chose à dire de nous...
Zygmunt Bauman (1925-2017) compte parmi les figures majeures de la sociologie européenne. Contrairement à ses contemporains, il n'a jamais aspiré à construire un système théorique. Du Coût humain de la mondialisation à L'Éthique a-t-elle une chance dans un monde de consommateurs ?, il multiplie les thématiques et les angles d'approche, soucieux de rendre compte de la complexité croissante de la société. La diversité de ses sources, de la politologie à la philosophie et à la littérature, témoigne d'une rare exigence intellectuelle.
Ce dialogue à bâtons rompus avec son ami journaliste Ezio Mauro introduit de manière vivante à son oeuvre. « La vie liquide », les « fragilités d'appartenance » avec Internet, l'hypocrisie de notre langage quotidien, la marchandisation de la vie, l'exclusion mise en scène dans des spectacles médiatiques, le caractère superficiel de notre univers multiculturel... sont ici exposés, explorés avec simplicité et détermination.
Au-delà des mirages de la postmodernité, Zygmunt Bauman nous engage à poursuivre la construction des valeurs d'autonomie, de liberté et de rationalité sociale, tout en interprétant les paradoxes de notre condition actuelle. Cet ouvrage-testament lui permet de revisiter son oeuvre au prisme de notre quotidien.
Le rapport de Bourdieu à la phénoménologie peut sembler, à première vue, de pure critique. Mais sa sociologie des pratiques doit aussi quelque chose à la phénoménologie, à Husserl, à Schütz ou encore à Merleau-Ponty. La première intention de cette enquête est ainsi d'examiner les conséquences de la reconversion des concepts et des analyses phénoménologiques dans la théorie et la pratique de la sociologie. La seconde intention qui anime cette étude est de rectifier certaines présentations purement déterministes ou objectivistes de l'oeuvre de Bourdieu, en montrant qu'il élabore progressivement une conception renouvelée du « sujet ». Le rapport à la phénoménologie fonctionne comme une matrice de questionnements : ainsi en va-t-il des réflexions relatives à la normativité (sous la rubrique de l'habitus), à la temporalité et enfin à la réflexivité, qui sont ici méthodiquement examinées et composent une véritable théorie du sujet social.
Le mot de Zarathoustra résonne encore : « À la Terre, restez fidèles. » En 1887 et 1888, Nietzsche s'engage pour la dernière fois dans la réhabilitation absolue du monde réel, contre ceux qui font peser sur la Terre le poids de l'abjection, de la dépréciation, de la dévalorisation. La compréhension de ce qu'est un « monde » passe au premier plan, elle envahit l'écriture de Nietzsche, se diversifie en tous sens : monde réel, monde de la vérité, monde du devenir, monde de la vie, monde fictif, monde métaphysique... La guerre des mondes s'engage. La position réaliste de Nietzsche y trouvera son expression la plus étincelante, la plus acérée. Il est devenu clair que l'histoire de l'Occident a aussi été l'histoire de la négation de la Terre. Affirmer la primauté de la Terre, c'est soutenir qu'il n'y a qu'un monde réel, celui où nous vivons.
Pierre Montebello explore ici les grands moments de ce parcours, de cette affirmation ardente de la Terre.
Nicolas Weill propose une lecture stimulante de ces textes qui constituent une des découvertes philosophiques les plus importantes de ces dernières années. La publication des " Cahiers " redonne une actualité brûlante à la question qui divise épigones et détracteurs du penseur allemand : comment continuer à philosopher avec Heidegger sans tenir compte d'une éventuelle contamination de cette philosophie par l'idéologie nazie ?
Par une analyse sans concession des " Cahiers ", en se concentrant sur les Réflexions (tenues par Heidegger de 1931 à 1941) mais tout en cherchant à en dégager les éléments proprement philosophiques, cet ouvrage invite à une approche équilibrée, quitte à " penser avec Heidegger, contre Heidegger ", comme le suggérait Jürgen Habermas dès le début des années 1950. Il montre notamment comment l'auteur d'Etre et temps, en inventant une nouvelle forme de philosopher, a poursuivi et prolongé dans ces carnets la critique de la modernité telle qu'elle a été formulée par la " révolution conservatrice " allemande et par Oswald Spengler, le théoricien du déclin de l'Occident.
Jürgen Habermas, représentant majeur de l'École de Francfort, est devenu un auteur classique mais son oeuvre complexe et multiforme, composée d'une cinquantaine d'ouvrages et d'un millier d'articles, continue d'être mal identifiée. Comment saisir la diversité de ses intérêts, des théories de l'action et du langage à la morale et au droit ? C'est aussi un acteur, qui intervient régulièrement dans la presse et les débats publics. Comment articuler ces prises de position avec ses travaux proprement théoriques ?
Dialogues avec Jürgen Habermas, issu d'un colloque international, offre un panorama complet du parcours intellectuel de Habermas, depuis ses premiers écrits jusqu'aux plus récents. L'espace public, l'agir communicationnel, la modernité, la démocratie, l'autonomie, les intérêts de connaissance, etc. sont ici discutés. Plus largement, c'est l'actualité même de sa pensée qui est soulignée et interrogée à propos de thèmes qui font débat : les effets du droit sur la société, la compréhension que l'on peut avoir des crises du capitalisme, ou encore le rapport complexe de la modernité aux religions.
Cet ouvrage comprend deux textes inédits du philosophe, un texte d'ouverture sur l'Europe et un texte de clôture où il répond aux intervenants.
Un monarque tout-puissant, un palais somptueux et son harem, des mariages et des répudiations, une jeune juive qui garde le secret sur son identité, des banquets et des festins, des confusions entre personnages et situations jusqu'au coup de théâtre final.
Tel se présente le Livre d'Esther, à l'origine de la célébration de Pourim, instituée par l'héroïne de l'histoire pour commémorer le salut du peuple juif et devenue une joyeuse fête où l'on autorise excès et transgressions.
Toujours vivant dans les récits et les mémoires, le texte librement découpé et représenté, mis en scène et en images, circule entre scènes publiques et scènes privées et s'actualise dans les rites.
Claudine Vassas par une approche ethnographique ouverte explore, dans sa profondeur historique, les facettes de cette célébration sans quitter la parole vive des femmes dont elle fait aussi entendre les voix dans un essai attentif et sensible à leurs multiples échos.
Le rire est à la mode. Mais sait-on vraiment de quoi l'on parle ?
Il y a mille formes du rire ; et autant de manières d'en parler, selon qu'on est philosophe, écrivain, artiste, psychologue, historien. Le premier objectif de cet ouvrage est d'en offrir un panorama complet et synthétique.
Mais il prend surtout le pari de l'unité fondamentale du rire, et défend une thèse originale : dans tous les cas, le rire naît chez l'homme face à l'irruption d'une menace potentielle qu'il décide de ne pas redouter, comme si un écran invisible l'en séparait. S'instituant spectateur du monde, il prend conscience de sa liberté, même précaire, au sein de la nature ou de la société. Le rire serait-il alors la matrice de toute civilisation ?
Cette donnée anthropologique explique l'importance capitale du rire, le large éventail de ses mécanismes comiques et, en particulier, son affinité mystérieuse avec l'émotion esthétique. Quant à notre actuelle culture médiatique, on sait bien qu'elle a transformé le monde en un spectacle universel : très logiquement, le rire lui est devenu indispensable. L'âge post-industriel a donc parachevé la vocation primitive du rire humain : la boucle est bouclée. Provisoirement.
Il est communément admis que nous vivrions une ère mondiale où un réseau économique et technologique relie toujours davantage les quatre coins du globe et où la démocratie s'impose comme la condition nécessaire de la vie politique. Pourtant, cette image d'un âge global aussi avancé que civilisé est loin d'aller de soi ou d'être anodine. Enracinée dans un champ de forces sociopolitiques et économiques, elle sert souvent de véhicule clandestin pour des projets redoutables. Une telle vision du temps présent, ainsi que l'imaginaire historique et politique qui l'a produite, demandent à être interrogés, en particulier les concepts clés de mondialisation, technologie et démocratie. Et ceci non point pour présenter une description alternative de notre époque à partir des mêmes phénomènes de base mais pour développer une contre-histoire visant à reconfigurer le possible historique. Tenter d'ouvrir une brèche pour participer à un véritable futur, autre que celui qui s'impose à nous, en nous enfermant dans le destin intransigeant d'un avenir à subir, tel est l'objet de ce livre.
1882 Nietzsche publie Le Gai savoir, un texte joyeux, ironique. Après Choses humaines, trop humaines et Aurore, c'est l'oeuvre d'un convalescent qui retrouve toutes ses forces. Il suffit de lire le titre du prologue : « Plaisanterie, ruse et vengeance », ou celui de l'appendice : « Chanson du prince Hors-la-loi ».
C'est dans ce livre de la maturité que sont « lancées » la mort de Dieu (aphorisme 125) et l'éternel retour (aphorisme 341), deux pensées des plus importantes et des plus énigmatiques auxquelles le nom de Nietzsche demeure attaché.
Si Dieu est mort, et qu'on ne croit plus en lui, pourquoi faut-il encore l'annoncer à des incroyants ? Si je dois revivre ma vie éternellement à l'identique, est-ce avec le souvenir de l'avoir déjà vécue ? Et quelle différence, si je la revis ?
Ce livre tente de comprendre la logique et la fonction de ces deux pensées. Convoquant d'autres auteurs (Pascal, Freud, Foucault, Bourdieu, Castoriadis, Jankélévitch) pour mieux éclairer l'expérience que Nietzsche s'efforce également de susciter en nous, Olivier Ponton reconstitue la cohérence si singulière du Gai savoir, ce chef-d'oeuvre d'écriture aphoristique. Est ainsi mise en lumière une conception originale de la pensée, dont le pouvoir, moins théorique que pratique, est d'abord un pouvoir d'institution : institution du sens et de la valeur de la vie.
La notion de « formes de vie » a émergé il y a une dizaine d'années et circule dans des domaines variés, de la biologie à la philosophie en passant par la sociologie, la science politique et l'anthropologie.
Mais qu'entendre par « formes de vie » ? Un ensemble de pratiques, d'usages de nature variée, qui donnent à la vie commune des caractères propres, pour ainsi dire diffus, explicitement ou implicitement présents dans les croyances, la langue, les institutions, les modes d'action, les valeurs. Une forme de vie est toujours, en ce sens, particulière, c'est pourquoi il existe des formes de vie, plus qu'une forme de vie.
De l'étude de ses divers sens chez des auteurs aussi différents qu'Adorno et Wittgenstein à sa portée critique et politique et à ses incidences éthiques, cet ouvrage déploie toutes les dimensions de cette nouvelle approche. En particulier, la porosité entre les sphères privée, sociale, économique et politique, et la nouvelle articulation du social et du biologique.
Euthanasie, gestation pour autrui, excision, prostitution, légalisation du cannabis, peine de mort, corrida, consommation de viande, immigration, fiscalité... Qu'ils prennent l'aspect de discordes ponctuelles ou de polémiques récurrentes, qu'ils donnent lieu à des délibérations policées ou à des explosions de violence, les désaccords moraux ne cessent d'irriguer, d'enflammer et de fissurer la sphère publique. En éveillant la stupéfaction ou l'indignation, ils entraînent dans leur sillage des collisions au sein d'un espace commun, d'intenses clivages entre des individus ou des groupes qui se perçoivent tour à tour comme des contradicteurs, des adversaires ou des ennemis.
Mais quelles sont donc les sources des désaccords moraux ? Quelles sont les formes et les forces qui les animent ? Quels sont les cheminements qui mènent à leur éclosion, leur extension ou leur extinction ? Et comment remédier aux fractures qu'ils provoquent, sans pour autant imposer des dogmes (absolutisme) ni renoncer au discours critique (relativisme) ?
Telles sont les questions auxquelles ce livre s'efforcera de répondre. Il s'agira ici de conduire une enquête qui s'appuiera tout particulièrement sur la philosophie pragmatiste, les sciences cognitives et les sciences sociales. L'enjeu, dès lors, consistera à équilibrer deux exigences : d'une part, encadrer les désaccords moraux afin d'éviter l'infinie prolifération des conflits, et d'autre part, promouvoir leur expression publique dans une perspective résolument pluraliste.
Paul Ricoeur a toujours entretenu un rapport passionné avec la philosophie allemande, jusqu'à entreprendre la traduction des Idées directrices de Husserl en captivité dans un stalag. S'il est connu pour son rôle clé dans l'acclimatation de la phénoménologie husserlienne en France, sa lecture de la philosophie allemande antérieure à Husserl a été non moins intense et influente. Lui-même a parfois défini sa position comme un « kantisme post-hégélien ». Mais il a su également mobiliser les pensées de Marx, de Nietzsche et de Freud comme des moments critiques indispensables à son projet intellectuel. Enfin, il a reconnu toute l'importance de Schleiermacher et de Dilthey en tant que fondateurs de la philosophie herméneutique.
Le présent ouvrage se propose d'examiner comment Ricoeur s'approprie l'héritage de la philosophie allemande du XVIIIe et du XIXe siècle, et comment, à travers elle, il crée une oeuvre extraordinairement originale. Quelles sont les règles implicites auxquelles ses lectures obéissent ? En quoi lui permettent-elles d'explorer ses propres intuitions ? Qu'ont changé ces lectures dans la réception de la philosophie allemande en milieu francophone ? Telles sont les questions auxquelles cet ouvrage entend répondre.
Leo Strauss (1899-1973) est certainement un penseur majeur du XXe siècle. Lui qui a rouvert des procès jugés depuis longtemps - la querelle des Anciens et des Modernes, ou encore l'opposition entre la raison et la révélation - fait l'objet de commentaires contradictoires, le présentant comme un penseur tantôt fondamentalement apolitique, uniquement soucieux de redonner sens à la vie philosophique, tantôt secrètement politique, servant les forces les plus conservatrices des États-Unis.
Ce livre entreprend d'abord de retrouver en Strauss un des philosophes politiques les plus stimulants de son siècle, c'est-à-dire un philosophe soucieux de comprendre et d'éclairer les phénomènes politiques. Il faut toutefois convenir qu'abordée sous cet angle, son oeuvre présente un singulier paradoxe. Car si Strauss plaide avec force pour un retour à la compréhension classique des régimes politiques, il se montre en même temps très réticent à analyser les différents régimes et clivages du monde moderne. Plus étonnant encore, alors qu'il en appelle à une science politique qui soit fidèle à l'appréhension citoyenne des phénomènes, il ne cesse de relativiser, à propos de son époque, les différences entre communistes, progressistes et conservateurs.
En somme, entre sa conception de la bonne science politique, et sa manière presqu'apolitique de traiter de la modernité, il existe un déroutant hiatus. C'est ce problème plus spécifique que nous explorons ici.
La phénoménologie est née d'une interrogation critique sur la notion de « phénomène » et d'un effort pour recentrer l'analyse philosophique sur la description des formes d'apparaître de ces phénomènes. Tout questionnement relatif au statut ontologique de la matière semblait par conséquent mis de côté.
Or, contre toute attente, la question de la matière a occupé une place très importante au sein de cette tradition philosophique, moins peut-être comme thème directeur que comme problème autour duquel elle s'est structurée et diversifiée. En dépit des divergences qui opposent les perspectives de Husserl et de Heidegger, de Scheler, Patoc?ka, Sartre, Levinas ou Henry, la matière s'est imposée à chaque fois comme pierre de touche de la phénoménologie et de ses prétentions descriptives, lui imposant de ne pas arracher la description des vécus aux conditions concrètes et matérielles d'effectuation de l'expérience.
Le statut équivoque de la matière en fait ainsi le lieu privilégié d'une analyse des tensions constitutives de la méthode et de l'objet de la phénoménologie. Les contributions réunies dans ce volume, soucieuses de restituer la complexité des différents niveaux d'implication de la notion de matière, la prennent comme fil conducteur d'une relecture critique des moments essentiels de la pensée phénoménologique.
Jan Patocka (1907-1977) est l'un des philosophes tchèques les plus éminents du XXe siècle pour ses travaux sur la phénoménologie et la philosophie antique traduits pour la plupart en français. Il fut par ailleurs, avec Vaclav Havel, l'un des principaux opposants à la mise au pas de la Tchécoslovaquie par l'Union soviétique, engagement qu'il paiera de sa vie après un long interrogatoire policier. La naissance est généralement peu étudiée par la philosophie.
Dans la mesure où la phénoménologie se consacre à l'apparition des phénomènes, ce thème ne pouvait lui rester étranger. La naissance se confond avec notre venue au monde, notre irruption dans la vie : elle est le foyer de l'existence. C'est l'originalité de ce questionnement que met en valeur Frédéric Jacquet, en situant cette oeuvre par rapport aux fondateurs de la phénoménologie, Husserl et Heidegger, et en la confrontant avec Sartre et Merleau-Ponty.
La théorie critique de la société, telle qu'elle s'est développée dans le cadre de ce qu'on appelle parfois l'école de Francfort, se caractérise notamment par le fait qu'elle donne toute son importance aux dominations et aux conflits dans son analyse du monde contemporain. L'une de ses figures aujourd'hui centrales, Axel Honneth, est aussi l'auteur de la théorie de la reconnaissance sans doute la plus systématique et riche en perspectives théoriques et critiques. C'est de cette théorie qu'Emmanuel Renault part dans ce livre, tout en lui apportant des inflexions justifiées d'une part par l'histoire de la théorie critique, d'autre part par l'analyse du temps présent.
L'analyse de l'imbrication de la reconnaissance, de la domination et du conflit demande une approche spécifique : l'apport du pragmatisme américain et les débats sociologiques contemporains, en particulier Dewey et Bourdieu, complètent ici le modèle hégélien et les intuitions de Marx. Quelques exemples choisis parmi des objets souvent délaissés par les sciences sociales - la conduite oppositionnelle d'un groupe de punks squatters, le langage protestataire de jeunes de banlieues populaires - mettent à l'épreuve la capacité d'analyse de l'approche proposée par l'auteur, celle d'une philosophie sociale conçue comme une hybridation de la philosophie et des sciences sociales.
Une contribution d'importance au coeur des débats les plus actuels.
La violence de la guerre et du terrorisme fait la une des journaux et nourrit en permanence fictions et films. Brutale, intentionnelle, elle se donne à voir et fait parler d'elle. Au contraire, la micro-violence dont nous parle ce livre est imperceptible, minuscule, diffuse. Elle est dans l'« ordre des choses », « naturelle ».
La violence est dans les détails. C'est ainsi que, quotidiennement, nous endossons des rôles uniformisés sans toujours savoir ce qui nous pousse à ces conduites. Dire, ne pas dire, faire, ne pas faire, montrer de soi certaines choses, les cacher : au travail, en voiture, au supermarché, en classe, ce type de violence canalise nos conduites, sans que nous en prenions conscience.
Des exemples, appartenant à notre vie de tous les jours, illustrent le propos de l'auteur. Ils mettent à nu les mécanismes à l'oeuvre dans leur simplicité, leur pauvreté, leur répétition ; ils montrent comment nous y adhérons, comment nous acquérons le comportement exigé. Ainsi se découvre un pouvoir dispersé et profus, produisant un individu participant à son propre asservissement.
Reconnaître, expliquer et contrer la micro-violence, tel est l'objectif de cette démonstration salutaire.
Philosophe et sociologue, Georg Simmel (1958-1918) a développé une pensée originale qui se soustrait à la tentation des oppositions duales, telles qu'individu et société, expérience et structure. Sa pensée du tiers saisit la complexité des relations sociales à partir de la différenciation et de la réciprocité. Son approche se veut processuelle et relationnelle. Plus qu'un état de la société, ce sont les dynamiques qui la produisent, le « faire société » qu'il cherche à élucider.
L'objectif de cet ouvrage est de montrer l'actualité et la fécondité des pistes ouvertes il y a un siècle par Simmel, pour penser des questions aussi décisives que la sociabilité, le pouvoir, la valeur de l'argent et du travail, la confiance ou la religion.
Ces considérations se veulent des prolongements, des discussions à partir de Simmel plutôt qu'une exégèse de son oeuvre. Elles font le pari que les sciences sociales ont beaucoup à gagner à rouvrir certaines de ces pistes. À travers son regard sociologique, Simmel nous engage à explorer la complexité des relations à travers lesquelles se constituent réciproquement l'individu et la société. À travers sa réflexion philosophique, il nous invite à interroger les évidences, les clivages catégoriels et disciplinaires auxquels nous nous sommes accoutumés.
Esprit en son temps résolument moderne, Simmel, en bien des points, nous précède encore.
Les partisans de la démocratie radicale ont développé une critique de la démocratie représentative, mettant en avant une priorité du politique sur le social ainsi que la centralité du conflit. Ils n'ont cependant pas produit une réflexion suffisante sur les conditions de la participation politique. C'est ce à quoi s'attelle ce livre, en s'inspirant du pragmatisme de Dewey et de sa définition de la politique démocratique en termes d'expérimentation.
Après avoir dégagé l'ossature de la pensée de Dewey, ce livre en interroge certains des points aveugles en puisant à la source des travaux de Charles Wright Mills. Puis il en examine une des actualisations récentes.
Tout en montrant les richesses du pragmatisme deweyen qui déconstruit certains clivages stériles en philosophie politique et permet de penser la dynamique de formation des liens civils, ce livre met en relief certaines limites de l'expérimentalisme démocratique.