Le « théologico-politique », c'est l'idée selon laquelle au « fond » des choses politiques, il y a toujours quelque chose de religieux : quelque chose ayant à voir avec notre rapport au sacré. Même à l'heure où la politique moderne s'est « sécularisée » (séparée des pouvoirs religieux) et où les références religieuses, parfois présentes en elle, ont infiniment moins de poids que par le passé, la pensée théologico-politique est formelle : le fond de l'affaire serait encore et toujours « religieux ».
Depuis une trentaine d'années, le théologico-politique est en plein triomphe dans la philosophie contemporaine. Très au-delà de la mode « Carl Schmitt », c'est une vague qui passe par Giorgio Agamben, Charles Taylor, le dernier Jürgen Habermas, le dernier Richard Rorty... et qui fait revivre, aussi, certaines oeuvres du passé : celles de Jacob Taubes et d'Eric Voegelin, ou certains écrits de Karl Jaspers. Toute une myriade d'auteurs contemporains la nourrit (Gianni Vattimo, Marcel Gauchet, Luc Ferry...), non sans échos à un air du temps général (dont témoigne, par exemple, le succès des thèses de René Girard).
Alors que l'histoire politique moderne avait fini par accomplir le désir de Spinoza d'une rupture avec le théologique - désir formulé dans son Traité théologico-politique de 1670 -, voilà que le théologique est à nouveau présenté comme le secret caché du politique. Et c'est d'autant plus troublant que les années 1960 et 1970 avaient énergiquement combattu la tentation d'affirmer, dans les choses politiques, une détermination « en dernier ressort », de quelque nature que ce soit.
Le théologico-politique, aussi « renouvelé » soit-il aujourd'hui, est une imposture. Une démesure de la pensée, qui force les réalités politiques pour imposer sa « thèse ». Et ce triomphe parle non des choses politiques, mais de la philosophie. De ses désirs à elle, rarement tout à fait éteints, d'atteindre une toute-puissance théorique, c'est-à-dire un savoir total sur l'histoire : sur sa direction, sur sa véritable « ressource », sur son prétendu « fond ».
Voilà ce que montre ce livre. Mais il propose aussi une enquête : pourquoi cette quête de toute-puissance théorique a-t-elle resurgi, à ce moment-là de notre histoire philosophique et de notre histoire tout court ?
« Être un homme complet, équilibré, c'est une entreprise difficile, mais c'est la seule qui nous soit proposée. Personne ne nous demande d'être autre chose qu'un homme. Un homme, vous entendez. Pas un ange, ni un démon. Un homme est une créature qui marche délicatement sur une corde raide, avec l'intelligence, la conscience et tout ce qui est spirituel à un bout de son balancier, et le corps et l'instinct et tout ce qui est inconscient, terrestre et mystérieux à l'autre bout. En équilibre, ce qui est diablement difficile. » Ces phrases qu'Aldous Huxley fit prononcer par un des héros de Contrepoint, pourraient servir de résumé au livre que voici.
Dans La Fin et les moyens, publié en 1937, Aldous Huxley développe les conditions et les méthodes d'un véritable humanisme. Comprendre l'homme nécessite d'interroger tout ce qui en lui participe au réel, à la vie de l'intelligence et de la sensibilité, à ses conditions de vie sociale et économique, mais aussi à sa spiritualité. Tout ce qui, aussi, nous aide à formuler nos conceptions du bien et du mal et détermine l'ensemble de nos actions.
Quel est donc le but de ce livre ? Réaliser l'homme tout entier, malgré les pressions idéologiques et sociales de son époque. À partir d'une définition de l'homme «sans attache», guidé par sa seule intelligence et son amour d'autrui, Aldous Huxley propose de manière concrète les moyens pour atteindre la finalité de l'effort humain. Ces moyens ne se limitent pas à une prise de conscience individuelle mais résident aussi dans un cadre politique et social plus juste, dans des réformes, des institutions vraiment humanistes, dans une éducation, enfin, qui libère l'être des préjugés de la pensée toute faite. Par être, Aldous Huxley désigne aussi bien l'enfant que l'adulte : il n'est jamais trop tard pour grandir, approfondir les raisons libres de ses croyances, dresser l'inventaire de ce qui nous paraît acceptable ou inacceptable au-delà de ce qui nous est imposé. Marcher à contre-courant pourrait être la devise de cet immense philosophe pacifiste du XXe siècle qui trace les grandes lignes
Il est des lieux que la plupart des hommes évitaient depuis des millénaires et devant lesquels ils éprouvaient peur et effarement : les montagnes, les océans, les forêts, les volcans. Inhospitaliers, hostiles, désolés, ils font songer à la mort et leur démesure humilie, leur puissance menace : ils rappellent à chacun son existence précaire et passagère.
Après avoir détaillé les enjeux philosophiques de la notion de sublime associée à la nature sauvage, Remo Bodei évoque ces lieux dans lesquels le sublime s'incarne. Les montagnes par leur verticalité ont ainsi fréquemment représenté l'allégorie du sacré. A la fin du XVIIe siècle, les voyageurs anglais du Grand Tour expriment leur fascination pour les Alpes, un « spectacle horrible et beau ». Avec le romantisme, l'âme du contemplateur frissonne avec la nature. Cependant Hegel, déjà, s'inscrit dans une logique nouvelle de domination technique des montagnes. Avec lui, le sublime migre de la nature à l'Histoire.
L'Océan a longtemps effrayé. Et le port était espéré comme un havre de paix. Ce n'est plus le cas au XIXe siècle comme le montre Baudelaire dans « Le Voyage » : la modernité s'accommode de l'errance. Les forêts ont longtemps été considérées comme dangereuses, inquiétantes, puis elles ont été domestiquées et l'Homme s'est contenté d'y éprouver le frisson du sacré en plein midi ou au crépuscule. Les volcans sont sublimes en ce qu'ils combinent l'élévation verticale et les entrailles inquiétantes. Le désert, lieu de solitude nous invite aussi à la solitude intérieure.
Nous vivons un temps troublé. Que faire pour sortir de l'impasse ? Peut-être un pas de côté, non pour fuir la réalité mais pour considérer nos problèmes sous des angles nouveaux, inattendus, échapper au flot des lieux communs en tâchant de mettre de l'ordre dans le désordre qui nous entoure.
Tel est l'objectif que poursuivent ces courts essais. Sans prétendre apporter des réponses définitives, ils éclairent nos problèmes, les plus personnels - qu'est-ce que le bonheur ? qu'est-ce qu'être soi-même ? - comme les plus partagés de notre époque - la mondialisation, les fake news.
Tantôt parcourant des sentiers battus, tantôt frayant des voies nouvelles, ils font entendre des voix devenues souvent inaudibles dans le tintamarre de l'actualité, peut-être aussi contradictoires - pourquoi pas ? En vertu de quoi devrions-nous toujours aller sans délai vers une conclusio
En quoi un dialogue renouvelé entre les deux cultures, les sciences et les humanités, prolongeant celui dessiné par Charles Percy Snow en 1959, peut-il être d'une extraordinaire fécondité et permettre d'aborder des questions traditionnelles de philosophie politique sous un jour tout à fait nouveau ?
On entend souvent prononcer les mots d'humanisme et de liberté. C'est d'abord qu'humanitas et libertas sont liées par des rapports pratiques, historiques et philosophiques très profonds. On se doute que des valeurs aussi vitales dans la culture européenne ont toujours besoin d'être étudiées pour être défendues. Voilà précisément la fonction que l'auteur reconnaît aux intellectuels humanistes. Si telle est leur utilité, loin de constituer une catégorie nouvelle, les intellectuels humanistes ont toujours existé depuis Pic de la Mirandole et depuis Érasme. Mais mieux vaudrait demander : qui sont-ils actuellement ? Ils appartiennent à ces travailleurs de l'esprit, chercheurs, professeurs, savants, confrontés à leur condition d'intelligences modernes assiégées par l'économie. Ils sont les premiers concernés par l'inexorable métamorphose des institutions du savoir, universités et autres, censées garantir la liberté de penser. Depuis que celles-ci ont franchi le cap qui sépare leur devoir-être humaniste du règne des purs échanges techniques, elles n'opposent plus aucune résistance à la rentabilité où une idée, fût-elle la libertas, vaut son seul prix d'objet marchand.
Dans ce livre la théorie mène à la pratique. Cette recherche définit la liberté d'esprit et parle pour elle en compagnie des grands précurseurs de la Renaissance. Avec eux et souvent dans leur sillage figurent quelques noms prestigieux de l'humanisme intellectuel du XXe siècle : Aby Warburg, Alfred Weber, Erwin Panofsky, Edgar Wind, Eugenio Garin ou Ezio Raimondi. À entrer dans leur pensée et à les écouter, le lecteur retrouve sa propre liberté d'esprit.
Sir Charles Snow, homme de sciences et homme de lettres, parle pour la première fois du fossé qui sépare les deux cultures (la culture traditionnelle, littéraire, et la culture scientifique) lors d'une conférence à Cambridge en 1959. Ce fossé, lié au problème de la spécialisation abusive, devrait être comblé d'urgence pour obtenir de notre civilisation technologique le maximum d'avantages, et pour les faire partager aux classes et aux pays sous-développés.
Le football passionne autant qu'il exaspère.
La majorité le vit comme la parenthèse chronique d'une passion festive et s'interroge : pourquoi le football ?
Dans ces pages superbes, Stéphane Floccari renvoie dos à dos les bavardages quotidiens et les commentaires autorisés, les diatribes moralisatrices comme les discours savants.
Le temps d'un match improbable, il fait jouer Platini et Jankélévitch, Juninho et Newton, Pelé et Pasolini, Van Basten et Merleau-Ponty, Cantona et Cioran.
Pour le plus grand plaisir de son lecteur, qui s'y verra conter une histoire philosophique et populaire de cette communion sans équivalent entre les hommes qu'est le foot.
Platon est de nos jours une légende. Réduit à n'être qu'un monde des Idées, et vieux comme les Idées, on tourne la page avant d'avoir commencé à le lire. On oublie celui qui accroche Platon au sol, au quotidien, à la discussion critique : le prodigieux et formidablement réel Socrate, qui fut son maître et peut redevenir, dans nos troubles, nos questions, nos angoisses notre maître à tous, le maître qui manque si fort aujourd'hui. Platon de plain pied propose d'entrer dans Platon au niveau où on se trouve, pour jeter un coup d'oeil et aller plus loin. Nos pensées flottent et s'égarent. Platon et Socrate sont là pour les aider à être plus claires, se mettre d'aplomb.
Paru en 1923, soit un an après L'Espagne invertébrée et alors même qu'Ortega y Gasset (1883-1955) créait sa célèbre revue La Revista de Occidente, le bref ouvrage qu'est Le thème de notre temps signe une étape fondatrice et décisive dans l'itinéraire intellectuel du professeur de métaphysique en plaçant au coeur de sa philosophie la notion de « raison vitale ». Vouée à dépasser l'opposition entre le rationalisme de la raison pure et le vitalisme, celle-ci entend enraciner la raison dans l'effort vital qui caractérise l'existence humaine afin d'en faire son moyen d'action privilégié. C'est son impérative intégration dans la pensée contemporaine qui doit devenir le souci majeur des meilleurs esprits :
Le thème de notre temps.
Enfin disponible dans une élégante traduction nouvelle pour le lecteur français, Le thème de notre temps annonce ce qui constituera l'inspiration sous-jacente du mondialement renommé La Révolte des masses (1930/ 2010, Les Belles Lettres) : l' « hommemasse » décrié par Ortega n'est autre que celui qui ignore désastreusement la « raison vitale ». C'est pourquoi la lecture de cet opus s'avère indispensable à qui veut pleinement connaître les préoccupations fondamentales ayant animé celui qui fut l'un des plus grands philosophes européens.
Leo Strauss (1899-1973), philosophe juif allemand, est connu pour sa critique aiguë de l'idéal radical des Lumières et ses dérives modernes (historicisme, relativisme, progressisme et nihilisme), pour son retour à la pensée politique grecque et sa défense de l'universalité du droit naturel.
Sa philosophie tient à un fil directeur : le croisement entre les héritages biblique et grec. Ce sont les Lumières médiévales, plus prudentes et rationnelles que les Lumières modernes, qui ouvrent, à ses yeux, la question du rapport entre la foi en la Loi et l'autorité de la raison, en inventant un art d'écrire secret capable d'associer l'adresse au grand nombre et l'adresse aux lettrés.
Strauss défend l'idée d'un conflit irréductible et fructueux entre Athènes et Jérusalem, entre philosophie et Loi. Nous trouverions en effet dans la tension entre ces deux pôles légitimes et, pour partie, contradictoires, le pouvoir de contrer le déclin général de la politique contemporaine.
La philosophie de Strauss nous alerte par sa critique aussi vigoureuse que mesurée de la démocratie libérale moderne, par son intelligence de la tyrannie, de la persécution et de la discrimination étatiques ou sociales, et par sa mise en relief de l'importance du judaïsme éclairé.
Elle a ouvert la voie à un renouveau de la philosophie politique.
Ce grand livre posthume d'Allan Bloom part d'un constat anxieux : le lien humain se défait. Non par l'effet de quelque fatalité extérieure, mais simplement parce que nous le voulons ainsi : nous nous voulons de plus en plus des « individus libres et authentiques », eh bien, nous avons ce que vous voulons, nous avons, au lieu de l'amour ou de l'amitié, des « relations sexuelles » ou des « relations amicales ». Alors le projet d'Allan Bloom est de retrouver la complexité, les triomphes et les échecs - bref, la vérité - du lien humain, amoureux et amical. Comment ? En lui redonnant la parole, par une exploration merveilleusement ample et libre des grandes oeuvres de notre culture, où l'amour et l'amitié ont trouvé leurs expressions les plus splendides, les plus convaincantes - ou les plus troublantes.
Rousseau, Shakespeare et Platon sont les trois grandes étapes de cette redécouverte où il nous est finalement montré comment, et en quel sens, la recherche commune et l'amour de la « sagesse » peuvent constituer la plus haute possibilité de l'âme et former le lien humain le plus fort parce que le plus véridique. C'est peu de dire que l'auteur porte légèrement sa science. Il se meut avec autorité et agilité dans l'immense étendue de notre empire intérieur.
« C'est un assez beau roman que celui de la nature humaine », écrit quelque part Rousseau. C'est ce roman-là que nous propose Allan Bloom, et il est plus profondément intéressant et émouvant qu'aucun roman d'amour.
Chiens de paille est un livre de philosophie qui met radicalement à mal nos certitudes les plus chères. John Gray y explore la façon dont notre regard autrefois humaniste sur le monde a été petit à petit abandonné.
Mondialement connue pour ses romanscultes (The Fountainhead, 1943 ; Atlas Shrugged, 1957) mais aussi comme passionaria libertarienne du capitalisme, Ayn Rand (1905- 1982) s'est en fait peu à peu d'abord voulue une philosophe :
Le présent volume entend contribuer à la (re)découverte philosophique d'Ayn Rand, en proposant la traduction inédite en français d'une sélection de 9 textes (essais, articles et conférences) parus postérieurement au discours de John Galt entre 1961 et 1974 - les 2 premiers s'attachant à la théorisation des fondements de l' « objectivisme », et les 7 suivants, présentés par ordre chronologique, en illustrant les applications « pour vivre sur la terre ».
Dans une mémorable interview au Los Angeles Time (17 juin 1962), Ayn Rand explique que « Ma philosophie, l'objectivisme, soutient que : 1. La réalité existe en tant qu'absolu objectif - les faits sont les faits, indépendamment des sentiments, souhaits, espoirs ou peurs humains, 2. La raison est le seul moyen qu'a l'homme de percevoir la réalité, sa seule source de connaissance, son seul guide pour l'action et son moyen basique de survie... ». Cette philosophie réaliste et rationaliste inspirée d'Aristote a déjà de quoi intriguer le lecteur contemporain par son côté inactuel et son caractère de système d'interprétation total en opposition frontale avec la doxa philosophique post-moderne.
Mais ce lecteur sera encore davantage surpris en découvrant que c'est à partir de cette « métaphysique » et cette « épistémologie » qu'Ayn Rand élabore donc une « philosophie pour vivre sur la terre ». Une philosophie morale et politique intensément en prise sur l'actualité de son époque (1960-1980 : de Kennedy à Reagan) qui annonce la nôtre. Une philosophie qui, en faisant d'un « égoïsme rationnel » ni prédateur ni narcissique la suprême « vertu », promet le bonheur ici et maintenant dans l'accomplissement de soi et la « bienveillance » envers tous ceux qui veulent également vivre selon la raison et sans fuir le réel.
Il n'est pas exagéré de dire que Paul Ricoeur a débuté sa carrière philosophique par une traduction, celle des Idées directrices pour une phénoménologie d'Edmund Husserl ; par la suite, il s'est consacré à l'herméneutique dont il est devenu, en France, l'une des grandes figures. La traduction et les problèmes qu'elle pose, aussi bien sur un plan linguistique que du point de vue plus large de la philosophie du langage, sont donc au coeur de sa réflexion ; d'autant que Ricoeur s'est également attaché à l'interprétation de la Bible en discutant de près les enjeux de ses diverses traductions.
Les trois textes rassemblés ici constituent véritablement un ensemble cohérent où l'auteur cherche à sortir du dilemme trop connu ; la traduction serait impossible en toute rigueur théorique, or elle est de tout temps pratiquée effectivement. Ricoeur entend donc en finir avec cette objection préjudicielle contre la traduction, en proposant d'y voir la mise en oeuvre d'une « équivalence sans identité » qui permet également de comprendre la nécessité d'avoir sans cesse à retraduire ces textes que chaque époque cherche à constituer en « classiques ». La traduction apparaît alors comme une des composantes de la dynamique culturelle qui installe un présent en relisant une tradition, ainsi rendue à la vie.
Plus de dix ans après la disparition de Jean-Pierre Vernant (1914-2007), philosophe de formation et helléniste d'exception dont les travaux ont révolutionné la compréhension des anciens Grecs et de leur civilisation et profondément marqué la réflexion sur la place des cultures anciennes dans le monde contemporain, le moment semble venu de revenir sur son oeuvre et de porter un autre regard, plus distancié, sur le parcours d'un homme qui a toujours entrelacé sa vie de chercheur et sa vie de citoyen engagé. Car Vernant s'est nourri en permanence des débats de son époque pour leur offrir une traduction efficace qui a permis à l'étude de la Grèce ancienne de devenir une force intellectuelle libératrice.
Or, avec le temps, cette interaction essentielle entre la vie et la pensée risque d'être perdue de vue sous l'effet d'un double phénomène : l'écart se creuse avec le contexte de création de son oeuvre, et parallèlement, le risque existe que la diversité et la subtilité de cette oeuvre ne soient progressivement réduites aux approximations d'une vulgate appauvrie.
C'est pourquoi la quinzaine d'auteurs sollicités pour ce volume, représentant des pays, des disciplines et des courants de pensée divers, de la science politique à l'archéologie, de la philologie à l'histoire de l'art ou l'histoire des religions, ont mené une réflexion qui entrecroise souvent les considérations sur l'action de Vernant citoyen, l'analyse attentive, approfondie, de son oeuvre, et la mise en perspective de la réception de cette oeuvre dans différents pays et institutions d'Europe et des États-Unis.
Elles explorent, pour cela, trois domaines principaux :
L'étude du religieux ; la question de la cité ; le rayonnement international de Vernant.
Au début des années 1880, le Japon est traversé par un vaste mouvement démocratique réclamant une constitution et les libertés fondamentales. Le journaliste et penseur Nakae Chômin (1847-1901) y joue un rôle majeur : en 1874, il traduit Du contrat social en japonais avant de le faire en chinois classique, en 1882-3, sous le titre Min.yaku yakkai.
Cette traduction sera l'un des livres de chevet des démocrates japonais des années 1880 ainsi que des réformateurs chinois en 1898. Dans cette oeuvre, Chômin réussit à expliquer nombre d'idées complètement nouvelles en vidant les notions du confucianisme de leur sens usuel pour leur donner celles du Contrat social. À ce titre, le Min.yaku yakkai n'a pas été une traduction au sens actuel mais bien une réinvention. Chômin utilisa le chinois classique pour traduire d'autres textes (constitution française de 1793, déclaration d'indépendance américaine) et écrire de courts essais, tous inclus ici. L'ensemble donne au lecteur francophone la première occasion de se familiariser avec un aspect méconnu de l'histoire moderne japonaise, trop souvent associée au régime impérial.
Pourquoi parler de « responsabilité individuelle » ? Avant même de décider « de quoi » et pourquoi peut-on et doit-on être responsable, il faut déterminer qui peut et doit l'être. Et qui d'autre que des individus, seuls êtres vivants, pensants et agissants peuvent l'être ? Et si l'individu n'est pas d'abord responsable de lui-même, comment pourrait-il l'être des autres et devant eux ?
C'est que dans nos sociétés, tout concourt dans les moeurs mais aussi institutionnellement et idéologiquement à miner la responsabilité et à en précipiter le déclin : relativisme et « culture de l'excuse », maternage infantilisant et mise sous tutelle paternaliste, sociologisme déterministe, défausse sur une responsabilité collective et imputations imméritées dues à une culpabilisation hypertrophiée - ici objets d'une « politiquement incorrecte » recension critique.
Cette réflexion puisera amplement dans les ressources d'une philosophie de la responsabilité individuelle méconnue, inaugurée par Aristote, puis illustrée par Kant, Tocqueville, Kierkegaard et Nietzsche (dans un contre-emploi décisif), et poursuivie au XXe siècle par Hayek, K. Popper, Vargas Llosa, P. Ricoeur et Jankélévitich. Mais elle intègre aussi les contributions occasionnelles de Saint-Exupéry (Le Petit Prince), Germaine de Staël, Maria Montessori et même Clint Eastwood...
Une partie essentielle de l'ouvrage consiste en une enquête
Un nouveau mode de rapport au monde est né en Grèce ancienne :
L'attitude critique, laquelle a marqué durablement l'histoire occidentale pour ensuite s'imposer de plus en plus à l'échelle mondiale. Dès ce moment beaucoup s'est joué, car l'indépendance de la pensée, le rapport questionnant au monde, le pur intérêt pour le connaître, la tradition de la discussion critique et du franc-parler individuel - c'est-à-dire la tradition du rapport critique à la tradition - allaient non seulement pénétrer à l'intérieur même des doctrines juive, chrétienne et musulmane pour en infléchir le cours, mais gagner à l'époque moderne puis contemporaine leur espace propre dans la Cité. Inventeurs de la démocratie et de la philosophie, les Grecs ont donné naissance à cet ethos-critique dont le mode d'être, le pli culturel si l'on veut, n'allait plus nous quitter.
En dépit des détours et de tous les méandres, les Lumières du XVIII e, de même qu'auparavant la Renaissance, se comprennent donc comme les fruits lointains des Lumières antiques. Dit autrement, il n'y a rien d'absolument inédit dans la critique générale des croyances et l'athéisme moderne lui-même, dans la recherche d'un fondement anthropologique à la Cité et à ses lois, dans la découverte de la relativité des connaissances mais aussi des valeurs d'une culture à l'autre, dans l'exercice de la libre pensée, dans le questionnement radical porté sur la nature du lien politique et les meilleurs moyens d'assurer le bien-vivre-ensemble mais quelque chose comme le prolongement et l'élargissement dans l'espace moderne, de ce dont l'Athènes démocratique a fourni le premier germe et la première impulsion. À relire les Grecs, génération après génération, tous à des degrés divers, Romains, Juifs, Chrétiens, Musulmans, etc., s'inoculèrent et se transmirent les uns les autres ce germe critique qui, selon les différents sols et les différentes périodes historiques, épousa des formes variées.
Le présent essai propose donc une relecture du monde moderne fondée sur une réinterprétation de l'input antique grec, une analyse qui tient compte de la nouvelle humanité, critique et réfléchie, découverte en Grèce, et qui prend donc ses distances vis-à-vis des approches proposées par des auteurs comme H. Blumenberg (la Modernité relève d'une auto-affirmation absolument originale, d'une curiosité théorétique sans précédent dans l'histoire), M. Gauchet (le désenchantement du monde est un phénomène essentiellement moderne, la démocratie d'aujourd'hui tout autre chose que la démocratie antique), et R. Brague (l'Occident tient davantage de la Rome christianisée et hellénisée que d'Athènes). À partir de l'examen de cas concrets, tels que l'idée de créativité artistique dansl'Antiquité, l'agnosticisme ou l'athéisme, la satire sociale tous azimuts d'un Lucien de Samosate, on peut constater que la culture contemporaine n'est pas essentiellement différente mais reprend bien plutôt le fil d'interrogations et d'audaces anciennes.
Le monde moderne a rompu avec certains aspects de sa tradition, mais il n'a pas rompu avec son passé, celui plus ancien, qu'il redécouvre de manière plus libre aujourd'hui. Le but de l'ouvrage n'est d'ailleurs aucunement de sacraliser l'hellénisme, mais de montrer que le potentiel critique, inscrit dans la dynamique même de cette culture, peut nous aider à mieux façonner la société ouverte de demain.
"De même que dans l'art, les formes varient à l'infini (si cela est possible), c'est toujours une même matière qui persiste sous elles la forme de l'arbre, par exemple, étant suivie de celle du tronc, puis de celle de la troupe, de la planche, du siège, de l'escabeau, de la caisse, du peigne, et ainsi de suite, cependant que l'être du bois persiste toujours , il n'en va pas autrement dans la nature, où, les formes changeant à l'infini et se succédant l'une l'autre, la matière reste toujours la même [...] Ce qui était semence devient herbe, et que ce qui était herbe devient épi, ce qui était épi devient pain, ce qui était pain devient chyle, chyle sang, le sang semence, la semence embryon, l'embryon homme, l'homme cadavre, le cadavre terre, la terre pierre ou autre chose, et ainsi de suite, pour en arriver à revêtir toutes les choses naturelles." Giordano Bruno
« Le Système de la seule philosophie est achevé. La philosophie, qui avant lui n'avait pas commencé, est maintenant accomplie.
L'histoire entre définitivement, à ma suite, dans une tout autre dimension dont j'ai seul dit le langage et préparé l'habitation. Une langue neuve révèle ici la neuve réalité qu'elle transmet.
C'est une renaissance déstabilisante et monumentale, telle qu'on n'en a encore jamais vu. » Maxence.
La thèse de cet ouvrage est qu'il faut prendre soin du monde et qu'une « anthropologie relationnelle » permet de penser ce soin. Une pensée spécifique de la relation devient particulièrement nécessaire en médecine, dans le monde du travail et vis-à-vis de l'environnement. Elle entend s'opposer à une attitude peu soigneuse qui se répand à l'égard des personnes et des différents contextes de vie. L'exigence du soin, se faisant catégorie critique, permet ainsi de relier des domaines souvent envisagés comme distincts où, à rebours de l'exploitation générale du monde, elle invite à porter attention aux relations humaines et aux différentes formes de vulnérabilité.
Si la philosophie du care occupe désormais une place importante au sein de la philosophie contemporaine, cet ouvrage fait apparaitre la diversité des philosophies du soin, montre la pluralité des champs qu'elles investissent, et l'unité d'une démarche d'attention au monde.
L'oeuvre d'Alexandre Koyré, de renommée internationale et inspiratrice incontournable des recherches en histoire de la pensée scientifique, philosophique et religieuse (que ce soit pour la compléter ou s'y opposer) demeure paradoxalement peu étudiée pour elle-même. La féconde originalité de son oeuvre repose sur le projet qu'il s'est efforcé de mener à bien au cours des quarante années durant lesquelles parurent ses écrits. Koyré s'est proposé d'une part de suivre au plus près les divers cheminements de pensée (souvent sinueux) empruntés par les pionniers des temps modernes, depuis le Moyen Âge tardif jusqu'à la fin des Lumières, mais aussi et surtout de mettre en lumière les interactions culturelles décisives qui scandèrent les grandes étapes de l'histoire des idées. Les approches historiques de Koyré ne sont jamais unilatérales : c'est d'ailleurs ce qui en fait une histoire ouverte sur l'ensemble des possibles dont chaque époque a pu disposer dans ses choix. Aucun domaine culturel n'a le monopole exclusif de la vérité : c'est seulement en adoptant une perspective historique très proche de celle de l'école des Annales que Koyré a montré que la recherche de la vérité est fille du temps. Parti de l'étude de la mystique et de l'histoire des religions, Koyré s'est ouvert à l'histoire et à la philosophie des sciences. C'est donc en tant que philosophe instruit par ses longues recherches historiques qu'il a pu dégager les options philosophiques immanentes aux démarches scientifiques effectives (reconnues ou non comme telles par leurs auteurs).
L'objectif de cet ouvrage collectif est d'offrir ici plusieurs études sur les principaux aspects des recherches d'Alexandre Koyré. Cet ensemble s'ouvre sur la présentation exceptionnellement riche, que donne Mme Paola Zambelli, du cheminement intellectuel et des engagements personnels d'Alexandre Koyré.
Ensuite, viennent s'intégrer à ce cadre trois études (G. Jorland, A. Angelini et W.
Tega) qui analysent plus particulièrement les méthodes et approches philosophiques employées par Alexandre Koyré dans ses diverses recherches historiques. Une deuxième partie rassemble des contributions revisitant des temps forts de l'histoire et de la philosophie des sciences vus par Koyré (J. Biard, J.-.J Szczeciniarz, A. Brenner,) tout en comparant son approche à celles dont il s'est inspiré ou qu'il a inspirées (B. Bensaude-Vincent, F. Fruteau, M. Ferrari). Enfin, une dernière série d'études porte plus précisément sur des points d'histoire de la philosophie et d'histoire des idées (P. Redondi, E. Faye, A. Guimarães Tadeu de Soares, J. Seidengart).
L'ouvrage s'achève sur la publication d'une conférence inédite d'Alexandre Koyré datant de 1946 et intitulée « Galilée », ce qui donne l'occasion de retrouver la parole vivante et passionnée d'un auteur, qui, bien que très savant, savait se mettre à la portée de ses divers auditoires et de ses lecteurs.
Jérôme Perrier propose de manière soigneusement contextualisée, de redonner à Alain la place majeure et singulière qui lui revient dans l'histoire récente des idées : celle d'un penseur citoyen, d'un libéral de gauche compagnon de route du radicalisme, dont l'anti-étatisme, l'individualisme démocratique et le rationalisme laïque entrent en résonance profonde avec les préoccupations contemporaines.