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HENRI ABRIL
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Marina Tsvétaïéva (1892-1941) est aujourd'hui reconnue comme l'un des grands poètes du XXe siècle. Femme de tous les paradoxes, à la fois russe et universelle, prosaïque et sublime, elle commence très jeune à écrire et à publier. Prise dans la tourmente révolutionnaire après l'écrasement de l'Armée blanche dans laquelle son mari s'est engagé comme officier, elle vit un douloureux exil de dix-sept ans à Berlin, à Prague, puis à Paris. De retour dans son pays natal en 1939, elle se suicide deux ans plus tard.
Il est des talents si impétueux que les événements les plus dévastateurs de l'histoire ne sauraient les étouffer. Réduite à néant par la terreur stalinienne, Marina Tsvétaïéva ne cesse aujourd'hui de revivre et de rayonner. Cette « danseuse de l'âme », ainsi qu'elle se nommait, traverse, subit et transcende les malédictions de l'Histoire comme une comète fracassée. Par sa poésie, fulgurante, rétive et exaltée, elle fraternise d'emblée avec toutes les victimes. La singularité tragique de son itinéraire, d'une indestructible intégrité, garde aujourd'hui toute sa charge libératrice.
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Le monde que dessine Lorca dans ses poèmes d'amour est un monde fortement érotisé, dans lequel les éléments naturels et animaliers ont une fonction de symbole: frustration érotique de la couleur verte ou de la mer, force instinctive du cheval, érotisme du vent, stérilité et morbidité de la lune, érectilité des plantes, sensualité des fleurs.
Lorca explore ainsi les recoins et les subtilités de l'expérience amoureuse, notamment celle des amours homosexuelles et de « l'accablante tragédie de la physiologie», selon les propres mots du poète. Le conflit entre le désir et la loi apparaît dans toute sa violence et la désespérance qu'il entraîne, et que symbolise la « Pena » andalouse. Pourtant, si l'angoisse vitale et la mort sont très présentes dans ses poèmes, l'amour n'est pas toujours sombre.
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"Chaque vers est enfant de l'amour » écrivait Marina Tsvétaïéva. Mais si l'exacerbation amoureuse, l'énergétique passionnelle est e ectivement une des caractéristiques de son oeuvre, ce qui frappe avant tout, au-delà de la liste infi nie des « muses » masculines ou féminines, c'est qu'elle n'est que très peu assimilable à la poésie amoureuse, classique ou moderne. Il s'agit non pas tant de chanter, l'objet de sa passion, son propre sentiment, de mettre en scène l'épiphanie de l'amour ou la sou rance de la séparation, que de fonder sa poésie, donc son être même, sur un « absolu de l'amour »
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La nouveauté radicale d'Akhmatova résidait moins dans la « déferlante amoureuse » de sa poésie que dans une poétique inédite. Ayant « puisé dans la prose russe du dix-neuvième siècle sa sensibilité morale, la vérité des motivations psychologiques », elle fait de chaque poème un fragment de nouvelle ou de roman, une page arrachée à un journal intime, retraçant toutes les phases et situations de l'aventure amoureuse.
«L'héroïne lyrique», comme le notait dès 1923 le poéticien Boris Eichenbaum, est un oxymore incarné, tressant l'émouvant et le sublime au terrestre et à l'effrayant, la simplicité à la complexité, la sincérité à la malice et la coquetterie, la bonté à la colère, l'humilité monastique à la passion et la jalousie ».
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Si la poésie amoureuse, comme le relevait Nadejda Mandelstam, tient une place quantitativement modeste dans l'héritage du poète, on ne saurait la qualifier de « périphérique » pour autant que ces quelques poèmes marquent des jalons essentiels de son parcours. Préparant, lors de son exil à Voronej, une émission radio sur la jeunesse de Goethe, Ossip Mandelstam notait que les femmes aimées avaient été pour le poète allemand « les passerelles solides par lesquelles il passait d'une période à une autre ». Sans doute parlait-il également pour lui-même tant il est frappant que chacune des phases de son oeuvre est encadrée, introduite et close par les quelques poésies que lui inspirèrent les différentes « muses » ...
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Daniil Harms est aujourd'hui un classique de la littérature universelle, aux côtés de Gogol, Jarry, Beckett, Ionesco et Mrozek. Pourtant, de son vivant, seulement deux courts textes pour « adultes » furent publiés, et Harms ne serait resté qu'un merveilleux auteur pour les enfants si le philosophe Yakov Drouskine, membre comme lui du groupe Obèriou (Association de l'Art réel), n'avait sauvegardé ses manuscrits. Inversions ontologiques, tropismes alogiques, récurrences verbales et situationnelles, invagination des signes : Daniil Harms avait fini par croire que le réel absurde de l'époque stalinienne, mais aussi de l'essence de l'homme, pourrait être miraculeusement métamorphosé par un « retour de langue », du langage affranchi de tout esthétisme.
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Alexandre Blok (1880-1921), première grande voix dudit Âge d'argent de la poésie russe, apparut comme le maître de l'école symboliste dès le cycle De la Belle Dame, jusqu'à des chefs-d'oeuvre tels que La jeune fille dans le choeur chantait et L'Inconnue. Toutefois, sa poésie d'une incomparable musicalité, non sans écho verlainien, n'allait pas tarder à dépasser le cadre du symbolisme pour s'imprégner d'une vision tragique, puissamment prophétique des réalités de son temps, en particulier dans les poèmes sur la Russie, « épouse et mère », où il retrouve l'acuité lucide et cristalline d'un Pouchkine et d'un Lermontov.
D'abord favorable aux révolutions de février et octobre 1917, dont il attendait avant tout une « transfiguration de l'homme », il est vite déçu, et cesse d'écrire.
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Un thé chez la souris : trois siècles de poésie russe pour les enfants
Collectif
- Circe
- 5 Mai 2022
- 9782842424947
Les éditions Circé avaient publié une anthologie de dix auteurs s'étant illustrés dans un genre qui n'a cessé de connaître une faveur exceptionnelle en Russie : la poésie spécialement écrite pour les enfants.
Le nouveau livre élargit considérablement le choix afin de donner un panorama aussi vaste que possible allant de la fin du XVIIIème siècle, jusqu'à l'époque actuelle, soit près de 70 poètes dont la plupart demeurent ici des inconnus.
Une place centrale revient aux années 1920/30, qui connurent une efflorescence particulière, laquelle servit de refuge à des auteurs qui, faute de pouvoir publier leurs poèmes pour adultes, trouvaient ici le moyen d'aborder les réalités de l'époque, tant « l'univers enfantin est au coeur même des choses par sa naïveté primordiale ».
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Restent des poésies marquées par l'adéquation parfaite de l'image au sentiment, aux intonations venues des profondeurs de la terre russe. Reste le poète du XXe siècle le plus lu en Russie, ce qui est dû à son destin exceptionnel mais aussi à une forme élaborée qui, tout en demeurant proche de la langue populaire, aborde une thématique variée « en harmonie à la fois avec l'époque tourmentée de la révolution et avec l'éternité », comme l'écrivit le poéticien russe Boris Eichenbaum.
C'est dans cette optique que le présent choix - le plus vaste à ce jour en français - a été établi, en même temps que le traducteur, fi dèle au principe de l'« équivalence fonctionnelle », s'est e orcé de restituer au mieux la forme de l'original.
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«Mandelstam n'a pas eu de maître.
Nous sommes au fait des origines de Pouchkine et de Blok, mais qui pourrait dire d'où est venue cette harmonie nouvelle et supérieure qui a pour nom :
Les poèmes d'Ossip Mandelstam ?», a écrit Anna Akhmatova, et tel pouvait en effet être le sentiment inspiré aux lecteurs par (La) Pierre, le premier livre du poète à peine âgé de 22 ans, dont la voix apparut d'emblée singulière, reconnaissable entre toutes. Les nombreux textes écrits entre 1906 et 1913, pour la plupart inédits jusque-là en français, permettent toutefois de mieux éclairer la «préhistoire» de Mandelstam.
Dès le début, sa démarche poétique allait au-delà du symbolisme et de la musicalité verlainienne, mais aussi de l'acméisme, le mouvement auquel il fut amené à participer, à partir de 1912, aux côtés de Nikolaï Goumiliov et d'Anna Akhmatova.Son oeuvre est à l'opposé du classi-cisme et de l'avant-garde, tout en restant infiniment proche de l'un et de l'autre : ce paradoxe énoncé par Sergueï Avérintsev caractérise on ne peut mieux la position exceptionnelle de Mandelstam au coeur de la poésie russe du vingtième siècle. Avec pour toile de fond sa traver-sée tragique de l'histoire, jusqu'à la mort dans un camp de transit du Goulag en décembre 1938. Le présent volume et les trois autres déjà parus aux éditions Circé (Le Deuxième Livre, 1916-1925 ; Les Poèmes de Moscou, 1930-1934 ; Les Cahiers de Voronej, 1935-1937) constituent la première édition complète, bilingue et commentée, de l'oeuvre poétique d'Ossip Mandelstam.
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Vladislav Khodassévitch est-il le plus grand poète russe du vingtième siècle, comme l'écrivait Vladimir Nabokov ? Il est inconnu en France, au contraire de Mandelstam, Tsvétaïéva. La présente anthologie bilingue vise justement à combler cette lacune, en offrant le panorama étendu et représentatif d'une oeuvre qui apparaît comme une voix isolée mais tout à fait singulière dans la grande mouvance moderniste de la poésie russe, parfois appelée « âge d'argent ». La première partie du livre se compose de la totalité du dernier recueil de Khodassévitch La Nuit européenne, considéré par beaucoup comme le sommet de son oeuvre et composé des poèmes de l'exil écrits à Berlin, et Paris. La deuxième présente un florilège des plus belles poésies de ses quatre livres antérieurs et d'autres inédites.
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Kubik, le cube dans ses nombreuses acceptions en russe, les trois dimensions de l'espace et du temps, la fragmentation détaillée et transcendante de la mémoire cubiste, mais aussi un caniche parisien trop gâté, ultime avatar du barbet de faust...
" non pas un roman ou une nouvelle, ni un essai ni un journal de voyage, mais simplement un solo pour basson et orchestre ": l'auteur définit ainsi lui-même ce texte constamment à la recherche d'un " effet de présence " presque magique, né du son originel, du mot-psyché. kubik est un des récits clés de la nouvelle prose " mauviste " par laquelle valentin kataïev (1897-1986) tenta de rompre, à partir des années 1960, avec le réalisme socialiste toujours ambiant.
Arthur miller parlait plus simplement, à propos de cette oeuvre, de la " quête lyrique d'une enfance, d'une innocence perdue ", qui va entraîner deux russes exilés à travers l'europe, de paris à odessa, en passant par l'allemagne, la roumanie et la bulgarie, l'évocation de luther et goethe, tolstoï, bounine et mandelstam...
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Nombreux sont ceux qui, tel le prix Nobel de littérature Iossif Brodski, tiennent aujourd'hui Ossip Mandelstam pour " le plus grand poète russe du XXe siècle ".
Après les Cahiers de Voronej (1935-1937) et les Poèmes de Moscou (1930-1934), voici le Deuxième Livre qui s'articule en deux grandes sections. Tristia (1916-1920) et 1921-1925, auxquelles s'ajoutent les poésies pour enfants écrites en 1925, au seuil d'un silence de cinq années. Contrairement à La Pierre, le premier livre on dominait l'image de Rome antique et chrétienne, c'est l'âge d'or hellénique, accentué par un long séjour en Crimée-Tauride, qui sous-tend le " classicisme " de Mandelstam, parvenu à son faîte dans Tristia, et lui permet de renouer avec l'expression subjective du poète, médiatisée par les mythes et les thèmes éternels, alors même qu'il devenait impossible d'éluder l'histoire vive ae la révolution et la guerre civile, vis-à-vis desquelles Mandelstam aura longtemps une attitude plus contradictoire et nuancée que la plupart des poètes russes de son temps.
" Le mot erre librement autour de la chose, ainsi que l'âme autour du corps qu'elle a quitté sans parvenir à l'oublier " : cette conception du mot-Psyché va évoluer dans les poésies de 1921-1925 pour atteindre à une " musique associative " qui, déployée dans les champs sémantique et phonologique en me sorte de synthèse de l'acméisme et du futurisme, confine parfois à l'hermétisme dans les grands poèmes de 1923.
Eu dépit toutefois de la réalité " écrue et sévère ". de la marginalisation grandissante de Mandelstam, le Deuxième Livre est éclairé par la lumière du Midi russe mais aussi et surtout par plusieurs figures féminines exceptionnelles, dont les poétesses Marina Tsvetaïéva et Anna Akhmatova, les comédiennes Olga Arbénina et Olga Vaxel, et la jeune peintre Nadejda Khazina que Mandelstam a épousée au début de 1922.
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Le florilège proposé ici au lecteur francophone recouvre toutes les périodes et facettes d'une oeuvre singulière qui, se tenant à l'écart des courants conceptualiste et métamétaphorique de la poésie russe fin de siècle, tente de décrire sans fioritures la réalité ambiante - agonie du pouvoir soviétique, grimaces de la nouvelles Russie, guerre de Tchetchénie - dans une langue au registre étendu, friande de néologismes nés des racines slavonnes, en parfaite consonance avec la théologie personnelle de l'auteur, plus éthico-philosophique que religieuse, comme le montrent ses surprenantes gloses bibliques en contrepoint à la « mythologie païenne » des nouvelles générations.
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La Russie, a dit Andrej Bitow, à propos de son pays natal, est le pays où Kafka devient réalité. Et là où la réalité déforme les destinées des hommes, on peut réellement éprouver la démolition cubiste. L'écrivain Guennadi Gor (1907-1981), qui a souffert du blocus de Leningrad de 1941 à 1944 et l'a relaté en vers, était hanté à l'époque par les fantômes d'Hitler, de Gogol et de Goya, ainsi que par des parties de corps indépendantes.
Gor retrouve l'horreur du siège, il conjure le cannibalisme poussé par la faim dans le poème " ne mangez pas ma jambe ", qui traverse l'anatomie avec des rimes croisées et des amphibraques comme une formule magique désespérée. Les vers libres des hôtes, que " belle-mère " la mort vient chercher après le banquet de rôti de chat, décrivent les transports hivernaux de cadavres comme des scènes fantomatiques de contes de fées. Le genre du poème serait en fait " trop beau " pour s'épancher, selon Gor, et par là un peu embarrassant. Toutefois, contrairement aux rapports documentaires sur l'enfer du froid et de la faim, ses vers ont l'avantage d'avoir cette subjectivité qui constitue à la fois la culture et l'humanité.
Quand l'homme meurt, seule la tête peut encore ressentir en dernier lieu. Pouchkine, le poète adoré des Dieux, ne parvient toutefois pas à prononcer le moindre mot devant la milicienne soviétique. Tasso ouvre la bouche en silence. Et Ovide rêve en frissonnant de petits pains. Là où la fréquence humaine faillit, la langue rentre chez elle, dans l'eau, dans la pierre et dans le silence des nomades.
La littérature russe a trouvé son Malaparte. Avec Gor s'est éteint le dernier Obérioute..
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Sur la trame grotesquement réaliste, " anecdotique ", de la relation poignante et ambiguë tissée entre Léo et le narrateur qui, dans un accès de dégoût existentiel, va pendre son ami au cordon de la portière, Marienhof déroule ses images surprenantes qui tiennent à la fois de Gogol et de l'expressionnisme. Construisant son récit à la façon du montage eisensteinien, il est parvenu à condenser dans cette brève fiction " autobiographique " une période décisive du vingtième siècle russe, depuis la veille de la Première guerre mondiale jusqu'en 1929, l'année du grand tournant stalinien. Conscient d'écrire son chant du cygne, il y a exprimé de façon fulgurante la plupart des thèmes qui lui tenaient à coeur : l'enfance et le monde adulte, la création, l'amour et l'amitié, la trahison, la femme et la laideur des actes, la guerre, la littérature et l'histoire, l'angoisse du quotidien et la révolution, bref, la destinée exceptionnelle de l'âme russe que, vers la fin du roman, il résume dans une métaphore élaborée de l'homme rasé.
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« Il suffit de lire quelques vers de Venclova pour se rendre compte que nous avons affaire à notre contemporain, à un homme bien ancré dans le siècle. Tomas Venclova est un archaïste-novateur, il fait partie de ces poètes qui aspirent à exercer une influence., étant donné que la poésie ne saurait se réduire, même s'il s'agit là d'une de ses formes possibles, à un acte d'auto-effacement. L'intonation de ses poèmes frappe par une retenue quelque peu dévoisée, par une monotonie délibérée qui vise à estomper le côté trop manifestement dramatique de son existence. On ne trouvera pas, dans les vers de Venclova, la moindre trace d'hystérie existentielle, de compassion qui pourrait être suscitée chez le lecteur par un destin prétendument exceptionnel.» (J. Brodsky)
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Né en 1895, Sergueï Essénine est le dernier grand nom de l'Âge d'argent de la poésie russe. C'est aussi le poète du vingtième siècle le plus lu en Russie, ce qui s'explique en partie par une forme élaborée qui, tout en restant proche de la langue populaire, aborde une thématique variée en harmonie à la fois avec l'époque tourmentée de la révolution et avec l'éternité, comme l'écrivit le poéticien russe Eichenbaum. Cette harmonie peu commune explique également la difficulté à traduire Essénine et le fait qu'il demeure relativement peu connu en France. Henri Abril, à qui l'on doit notamment la traduction de l'oeuvre poétique complète d'Ossip Mandelstam (4 volumes aux éditions Circé), s'est efforcé de rendre sensibles au lecteur français tous les aspects de la poésie d'Essénine à travers un choix qui en présente les diverses périodes et les nombreux mythes dont elle est irriguée.