Parmi les quelque mille sept cent poèmes qu'a légués Emily Dickinson à la postérité, plusieurs centaines traitent indirectement ou directement du sentiment amoureux et dessinent la trajectoire de vie d'une amante incessante et inquiète. Le décor de toutes ces amours, explicites ou allusives, fut probablement limité aux parois d'un cerveau et aux quatre murs d'une maison de famille. La poétesse vécut un peu plus d'un demi-siècle de célibat, même si elle entretint avec plusieurs hommes, mentors littéraires mais aussi amants impossibles, une abondante correspondance. Emily imagine un ou plusieurs hommes à l'horizon de ses désirs inassouvis, mais « la porte de chair impatiente » ne s'est peut-être jamais entrouverte devant ses pas.
La popularité de Heinrich Heine (1797-1856), ce « romantique défroqué » comme il se qualifiait lui-même, repose en grande partie sur ses poésies consacrées à l'amour qui, en raison de leur grande musicalité, ont inspiré d'innombrables compositeurs. Reprenant avec virtuosité tous les codes du romantisme, Heine opère toutefois une rupture par rapport à la morale étriquée de la Restauration et du Biedermeier qui domine dans les pays germaniques après le Congrès de Vienne. Exilé à Paris jusqu'à la fin de sa vie, adepte de la « réhabilitation de la chair » prônée par le saint-simonisme, Heine reprend et bouleverse les codes de la poésie amoureuse dont il élargit le vocabulaire jusqu'au trivial.
" Le plus étrange de tous les livres / Est le livre de l'amour...", Goethe place cette remarque sous la plume du poète persan, auteur fictif du Divan de l'Orient et de l'Occident, qui célèbre à la fois l'amour et la poésie. Joies, plaisirs, bonheurs fulgurants et éphémères, souffrances amères, blessures, ou peines légères et presque délicieuses - la poésie de Goethe reflète à la fois l'expérience vécue et sa sublimation dans la littérature.
Le choix de poèmes présentés dans ce recueil tente de rendre compte de cette diversité, en proposant à côté de certains incontournables d'autres moins connus, plus personnels ou plus inattendus.
« C'est à peine si nous sommes les collaborateurs de notre amour, et c'est par cela même qu'il restera au-dessus des dangers banaux. Tâchons de connaître ses lois, ses saisons, son rythme et la marche des constellations à travers son vaste ciel étoilé. » Rilke dessine à travers sa poésie amoureuse une géographie universelle de l'amour, des premiers regards échangés à la douleur de l'absence. Au-delà de l'expérience intime, à côté des grands poèmes métaphysiques où s'inscrit une métaphysique de l'amour, le poète s'adresse dans les poèmes réunis dans ce volume à la Bien- Aimée : femme multiple et unique, pensée (mais non rêvée), extrêmement proche et extrêmement lointaine en même temps, dans la fi gure de laquelle s'opère la transmutation du discours amoureux en discours poétique.
Ce choix de textes de Yin Ling, enfant de la diaspora hakka née près de Saigon, veut résonner avec la misère contemporaine des exils, les effets mutilants et sans rémission de la guerre - décidée par d'autres - sur les peuples. L'être mental et de chair des victimes subit toute la vie ce temps de guerre. Sa poésie le regarde en face : des culpabilités réelles aux derniers effets dans le crépuscule d'une existence, aux moindres tâches banales, le désastre infuse la totalité du monde, jusqu'à la pureté des éléments. Théâtralisation, ironie et narcissisme deviennent des boucliers d'art devant l'insupportable, où elle sait renforcer d'autant le sentiment de barbarie. La voix de Yin Ling, essentiellement nostalgique, pessimiste et indépendante, sert un regard fraternel, atteint un partage profondément émouvant qui dépasse les crispations collectives, et un tel regard devient à la fois urgent et nécessaire partout. Puisse cette première édition en français le servir aussi.
Alexandre Blok (1880-1921), première grande voix dudit Âge d'argent de la poésie russe, apparut comme le maître de l'école symboliste dès le cycle De la Belle Dame, jusqu'à des chefs-d'oeuvre tels que La jeune fille dans le choeur chantait et L'Inconnue. Toutefois, sa poésie d'une incomparable musicalité, non sans écho verlainien, n'allait pas tarder à dépasser le cadre du symbolisme pour s'imprégner d'une vision tragique, puissamment prophétique des réalités de son temps, en particulier dans les poèmes sur la Russie, « épouse et mère », où il retrouve l'acuité lucide et cristalline d'un Pouchkine et d'un Lermontov.
D'abord favorable aux révolutions de février et octobre 1917, dont il attendait avant tout une « transfiguration de l'homme », il est vite déçu, et cesse d'écrire.
Depuis la publication de ses premiers poèmes en 1959, Wu Sheng a publié cinq recueils de poésie et sept recueils d'essais. Le présent choix, qui rassemble des poèmes composés entre 1963 et 2018, récapitule les différentes étapes de sa carrière.
Wu Sheng s'est passionné pour la poésie dès l'école secondaire, et ses premiers poèmes sont très influencés par le modernisme. À partir des années 70 se constitue son style propre : une poésie simple, enracinée dans le terroir taïwanais et profondément humaniste, qui décrit le monde rural avec un mélange de tendresse et de mélancolie, sans ignorer la réalité qui l'entoure et le menace.
Ce recueil rassemble des poèmes de Yang Ze des années 1970 à nos jours. Comme un vinyle sous l'aiguille du gramophone, une vie se déroule au fil des pages. Dans ses mélodies de jeunesse, le poète fredonne des confidences à Marianne (Je ne veux plus me tenir dans le bon camp, je ne veux plus qu'être dans le camp de l'amour...) Puis, en exil, il congédie ses années romantiques ; un rock fiévreux crie la fin des illusions du XXe siècle, avant de conclure : La vie ne vaut pas d'être vécue. Avant, peut-être, j'en ai eu le funeste pressentiment. Ayant atteint l'âge mûr, de retour à Taipei devenue métropole, le poète entame la deuxième mitemps de son parcours. Se tournant tardivement vers ce qui a disparu avec l'arrivée de la modernité, il choisit le monde des ruelles et de la nature.
La poésie russe du XXe.. iècle, exceptionnellement riche en écoles, m..uvements et grands nom.., s'est peu à peu révélée aux lecteurs francophones au cours des dernières décennies. Seule exception notable : les poètes de l'OBÈRIOU qui, aujourd'hui encore, de..murent méconnus, voire inconnus pour certains d'entre eux. En Russie même, ils n'ont pas encore trouvé toute la place q..uleiur revient ; les premières éditions sérieuses ne datent, dans la plupart des cas, que des années 1990-2000... 'explication tient sans doute en partie au fait que, surgis sur la scène littéraire dans la seconde moitié des années vingt en tant qu'ultime phalange du modernisme russe, ces poètes furent pratiquement interdits de publication de leur vivant (2.. u 3 poésies seulement pour Harms, Vvédenski, Oleïnikov, aucune pour Bahktérev ou Tiouvélev), avant de succomber à une répression sans précédent qui préludera à leur absence prolongée du paysage poétique.
Créée à la fin de 1927, l'OBÈRIOU (Association de l'ar..té el) avait pratiquement cessé d'exister dès 1931 et l'appartenance formelle au groupe, opposé à tous les « ismes », la participation à ses happenings dans le droit fil de l'avant-garde russe étaient parfois aléatoires ; il n'en demeure pas moins que ces poètes apparaissent liés par une audace métaphorique et sémantique, une liberté formelle et conceptuelle, un humour au registre très étendu qui leur permettaient d'exprimer leur « écart », leur décalage certes souvent « infime » mais absolu - à tous les niveaux de la langue, du style et du rappo..rut monde - vis-à-vis du réalism.. socialiste, du nouvel univers « tragiquement optim..ste » qui finit par ..otrmpher dans les années 1930. L'oeuvre des poètes de l'OBÈRIOU, malgré des pertes substantielles, a cependant traversé les
"Le délicieux petit livre de vers A Child's Garden of Verses (Jardin de poèmes enfantins) célèbre de bout en bout la faculté de l'enfance à peindre, incarner, dramatiser la vision du monde perçue depuis le parc à bébé de la nursery. Cet ouvrage est une merveille pour l'extraordinaire vivacité avec laquelle il restitue les toutes premières impressions de l'enfance. Un enfant aurait pu l'écrire, à supposer qu'un enfant puisse voir l'enfance de l'extérieur, car lui seul, semble-t-il, est assez près du plancher de la nursery." (Henry James)