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ARFUYEN
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Le Rêve de Dostoievski
Cécile A. Holdban
- Éditions Arfuyen
- Les Cahiers D'Arfuyen
- 5 Juin 2025
- 9782845903920
« Un être qui s'habitue à tout, voilà, la meilleure définition qu'on puisse donner de l'homme. » Cette phrase de Dostoïevski dans ses Souvenirs de la maison des morts sert d'épigraphe au livre de Cécile A. Holdban. Dans un lumineux texte liminaire, l'autrice évoque « ces hommes et de ces femmes que l'on qualifiait souvent de fous ou de sorcières, et que la tradition yiddish dépeint sous les traits du shlemiel » : « repoussés à la lisière des communautés humaines » mais « proches de la nature par une forme d'attention et de sensibilité décuplées ». Ce « rêve de Dostoïevski » qui donne son titre au livre, c'est « le désir insensé d'approcher la singularité de l'expérience humaine dans un monde disloqué. De faire alliance avec la vie, envers et contre tout ». Fait des présences de cette foule de rêveurs et de déclassés, le livre se présente comme « un choeur de solitaires cherchant à exorciser le constat de "l'homme du sous-sol" de Dostoïevski : "Eux, ils sont tous, et moi, je suis seul." Pas de révélations, pas de grands mots d'ordre : leurs paroles ne sont que d'humbles témoignages sur la nature et sur la vie. Là est leur force paradoxale : « Trois baies / une brindille / l'inventaire pourrait cesser là / s'il n'y avait ce petit or / que chacun espère secrètement forger / dans la banalité du jour. » Mais ce sentiment très simple, très fort qui constitue leur vie suffit à remettre en cause les fausses valeurs de toute une société : « La rose en moi éclate. / C'est alors, seulement, que je sais / cette chose en moi / était une rose, et elle a éclaté. »
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Laurent Albarracin a publié chez Arfuyen en 2018 Res Rerum et en 2022 le Manuel de Réisophie pratique. Le Message réisophique constitue le troisième volet de l'étrange méditation inaugurée par Laurent Albarracin sous le couvert de cet occulte et facétieux « Collège de Réisophie » qui en serait le génial inventeur. Si les textes des deux volumes précédents se présentaient sous forme des poèmes, Le Message réisophique est composé de 303 proses de longueur très inégale : « Recueil de sentences ? s'interroge l'auteur de l'Avertissement. Exposé lacunaire d'une doctrine ésotérique ? Recettes à l'usage de leurs adeptes ? Compilation d'un enseignement collecté par ses disciples ? Exercices pratiques ? Mantras ? Koans ? » Autant d'approches variées pour renouveler le questionnement qui est au coeur de la Réisophie, cette mystérieuse « sagesse » que nous enseignent les choses elles-mêmes si l'on sait seulement être attentif : « Tout Réisophe guette dans la chose cette acrobatie lente par laquelle la chose s'enlève peu à peu du fond de son monde et se désigne à elle-même, brille un instant à ses yeux puis retombe dans son monde où elle se rétablit comme chose. » Car ce sont les choses qui sont agissantes et l'homme n'est là que les écouter : « La connaissance dont il s'agit dans la Réisophie n'est pas un savoir acquis à propos des choses, mais une connaissance nous venant des choses, de leur connaissance à elles dont nous ignorons presque tout. » En cette démarche réjouissante et éclairante, l'intuition du poète se combine avec la rigueur du philosophe, la candeur de l'enfant avec l'espièglerie du moine zen.
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Et pourtant ; Ajouter du noir, ou non ; Ce qui doit venir
Pierre Dhainaut
- ARFUYEN
- Les Cahiers D'arfuyen
- 9 Janvier 2025
- 9782845903814
« L'air / demande / une aide, / les poèmes / parfois / l'exaucent. » Il n'est pas de meilleure image de la poésie de Dhainaut que cette large et généreuse respiration que donnent les immenses plages de la mer du Nord. Mais que faire quand l'air lui-même vient à manquer, quand lui-même appelle à l'aide ?
Pour éviter l'étouffement, le poète ne peut compter alors que sur les mots. Mais ce n'est que « parfois » que vient par eux « l'exaucement ». Le poète n'en sait que trop les limites : « Aucun mot ne nous a sauvés, quelques-uns / malgré tout persistent, palpitent. » Le poète est lucide, et pourtant, pourtant demeure convaincu que « seul un poème / rend l'inquiétude heureuse ».
Pourquoi ? C'est ce que dit le poème final du présent recueil : « Une voix est en nous sans être à nous : / dans la traversée des poèmes ». Cette voix-là nous libère et nous la libérons : « nous la dilapidons, nous l'aidons à vivre ». Quelque chose se passe dans le poème qui nous dépasse et le dépasse, et nous fait comprendre cette vérité : « Rien ne commence, rien, ici ou ailleurs, / on reçoit un écho, de qui, pour qui ? »
Ce qui se produit dans le poème est la vie elle-même : « Rien / n'est dit, / rien encore, / l'ignorance / pour lumière ». Nous sommes hôtes de ce monde, comme les mots sont hôtes de cette voix inconnue : « Nous n'avons droit qu'à devenir des hôtes, /bonjour la boue qui luit après la neige / et bonjour la poussière, la chute / étant une autre incarnation du vol. » -
Opus incertum Tome 7 : Mars 1995-septembre 1997 ; La voix de l'érable
Roger Munier
- ARFUYEN
- Les Cahiers D'Arfuyen
- 6 Mars 2025
- 9782845903876
Ce livre est le 7e volume de l'oeuvre d'une vie : l'Opus incertum, que Roger Munier a commencé à écrire en 1980 et n'a interrompu que quelques jours avant sa mort le 10 août 2010. oeuvre totale, à la fois philosophique, spirituelle et poétique, qui ne peut se comparer dans l'histoire des littératures qu'à celle d'un Montaigne, d'un Joubert ou d'une Emily Dickinson. Les éditions Arfuyen ont commencé de publier Roger Munier en volume dès 1980, l'année même où il commence à écrire son Opus incertum. À sa demande elles ont repris le flambeau de on édition en 2007 (Les Eaux profondes. Opus incertum V) lorsque Gallimard s'est retiré du projet. À l'occasion de leur 50e anniversaire, les Éditions Arfuyen ont décidé de se lancer dans l'édition intégrale de l'Opus incertum : plus de 2000 pages, qui paraîtront en huit gros volumes sous la direction conjointe de Jacques Munier et Gérard Pfister. Singulier projet que celui de Munier, immense chantier patiemment mené année après année pour capter un peu de ce qui fait l'essentiel de notre destinée de vivants : « Une autobiographie, mais qui ne serait faite que des moments impersonnels où l'être s'est senti traversé. » Avec la même intransigeante lucidité et la même sereine obstination qu'un Montaigne, Munier s'essaie à écrire ce qui sans cesse, en même temps que la vie, lui échappe : « Je fais, dans ces notes, un demi-pas vers l'inconnu - mon inconnu ou l'inconnu - parfois un autre moindre encore, parfois un pas en retrait. Mais peu à peu j'avance dans l'incertain. Au total j'avance. »
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Depuis Balbuciendo (2012), son premier livre aux éditions Arfuyen, Michèle Finck poursuit une oeuvre d'une rare puissance et intensité. Non pas de simples recueils mais de gros livres très architecturés où l'autobiographie se mêle avec une immense culture, les formes poétiques les plus variées avec la prose, le chant avec les cris.
Après de nombreux livres qui étaient comme autant de tombeaux, La Ballade pour les hommesnuages (2021) laissait déjà entendre un chant d'amour et d'un paradoxal bonheur. Comme le dit assez son titre, La voie du large pousse plus loin cette ouverture : le thème marin, déjà présent dans les précédents recueils, communique à l'ensemble du recueil un peu de sa lumière et sa sérénité.
Huit mouvements : « La langue au doute », « Leçons de ténèbres », « Intermezzo », « Correspondances stellaires », « Santa Reparata », « Radiophilie », « Cantillation du doute et de la grâce ». Du doute à la grâce, c'est la musique qui opère la métamorphose : « Musique / Rend // Translucide // Ce sourire / Des sons / Qui est / Larme / Est-ce / Ce qu'on appelle // La grâce ? » Car la musique est comme la mer, étreinte et délivrance, bienheureuse réparation : « Nager Ne plus savoir depuis combien / de temps Bientôt ne plus sentir si je nage / dans la mer ou lévite audessus / des montagnes Le bleu devient mental / est-ce lui ou moi qui lentement tournoie ? » -
Femmes
Nizar Kabbani, Mohammmed Oudaimah
- ARFUYEN
- Les Cahiers D'arfuyen
- 5 Novembre 2020
- 9782845903029
Nizar Kabbani est l'un des plus grands poètes arabes modernes et certainement le plus aimé.
Son rare esprit d'indépendance, son amour de la vie, son rejet des idéologies répressives l'expliquent largement. Comme aussi sa langue, simple, vive et directe.
Si le thème central de son oeuvre est la femme, il ne faut pas s'y tromper : à travers la femme, c'est de la liberté et de la vie qu'il parle, en son nom c'est l'archaïsme et le machisme de la société arabe qu'il dénonce.
D'où sa grande popularité, notamment à travers les interprétations de Fayrouz et Oum Kalsoum, mais aussi les vives réactions politiques que son oeuvre a suscitées. Nizar Kabbani a payé cher sa liberté : il a démissionné de son poste diplomatiqye en 1966 et s'est définitivement exilé durant les 18 dernières années e sa vie.
Les Éditions Arfuyen sont les seules à l'avoir publié de son vivant : en 1988 a paru un choix de ses poèmes en édition bilingue, Femmes, dans une traduction de Mohammed Oudaimah et avec une postface de Vénus Khoury-Ghata.
Pour ce livre il a lui-même réalisé la calligraphie de l'ensemble des poèmes.
Plus de trente après ce livre, devenu culte, reste le seul disponible en langue française. C'est cet ouvrage, paru dix ans avant sa mort, qui est ici réédité.
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Un jardin. Le début de l'automne : « Cette allée qui s'efface / De pétales se comble/ De feuilles qui se plaignent / A l'avancée des pas // Dessous la terre vibre / Couve l'appel des gouffres » C'est le poème liminaire et tout est suggéré : la beauté inépuisable du monde et la mélancolie inguérissable de qui sait devoir la quitter. Tout devient objet de rêverie, matière à contemplation, que scandent cinq moments : « Chemins », « La maison », « Tout le temps », « Un souffle », « Le passage », « L'allée ».
« J'ai marché / Entre des fossés des flaques / Écrit / Quelques livres / Ému / Au simple cristal du jour // J'arrive en vue / D'une plaine immense / Où ondoient des draps de neige. » Et puis quoi ? Notre présence est si légère, si fugitive. Tout ce que nous avons aimé n'était peut-être qu'une odeur dans nos narines.
« J'ai aimé beaucoup de poussières / Et toutes leurs odeurs de temps // Les plus âcres montaient des ruines / Les plus poignantes des vieux livres. » Ces « odeurs de temps » continuent de flotter dans les murs aujourd'hui inhabités, dans les livres depuis longtemps oubliés, acides jusqu'à faire venir aux yeux les larmes. « Il n'y a qu'une ravine de vent, dit l'ultime poème / D'ici à cet arbre / Qui pousse ses bras de flammes / Au plus épais des ténèbres // Les maisons sont désertées / Les vignes mortes / La trace des lèvres / Sur le portrait / Effacée // Reste la lumière. » -
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Ce n'est pas un hasard si figure en couverture de ce nouveau livre l'idéogramme kou, en chinois « bouche ». Ce signe se réfère bien sûr d'abord aux petites ouvertures qui donnent leur titre au livre :
Cette « petite lucarne / ouverte // au fond /du tableau » qui semble le faire communiquer, conne dans un tableau de Vermeer, avec un autre monde.
Mais ce signe désigne aussi la bouche béante dans l'instant de l'émerveillement : « elle est venue, dit le poète / l'inattendue l'éblouissante // sitôt / disparue ». Innombrables sont ces instants pour qui sait les accueillir et chaque poème en est comme la trace, peut-être aussi peut-être la clef. Car, écrit Goorma « nul / ne rencontre le poème // sans / se rencontrer ». Le poème n'est pas simple souvenir, mais principe actif. Il nous aide à voir et à entendre.
Comme le poète, le lecteur qui vit profondément le texte doit pouvoir éprouver lui aussi cette étrange impression : « je m'éveille soudain / regardant tout autour // comme venant / de tomber du ciel ». C'est alors que subitement la lucarne s'ouvre à la vision : « le soir appuie / son front noir // sur la vitre / et te regarde ». Et c'est alors que se fait sensible, dans un parfait silence, le passage de la grâce. Car toujours, rappelle le poète, « l'effroi est /grand ouvert // au vertige / de la grâce. » Et ce sont au contraire l'habitude et le confort qui nous empêchent de la recevoir. Au plus sombre des jours, la grâce reste présente en nous : « par le sourire en nous / de la clarté // la grâce demeure / invaincue ». -
En 1970, René Char écrit à Marwan Hoss : « Il m'est agréable de vous écrire combien vos poèmes me trouvent, me découvrent peut-être aussi à moimême, à l'âge des sombres chagrins. » Et un mois plus tard : « Sur la ligne de l'horizon où vous m'êtes apparu, je ne vous confonds avec aucun autre. » En 2019 a paru Jours, un recueil de 248 pages réunissant l'ensemble des textes de Marwan Hoss écrits depuis 1969. Terres, rassemble les poèmes écrits depuis lors. On y retrouve la tonalité unique qui marque cette poésie, à la confluence de Char et de Schéhadé : étrange et grave, ascétique et sensuelle, brûlante et raffinée.
« Dans l'aube froide / les sarcelles de mon enfance / prennent leur premier envol / Les chasseurs tirent et font / saigner leurs coeurs / Derrière les roseaux / se cachent les oiseaux blessés ». Même lorsqu'il s'agit de l'enfance, la menace est toujours présente. Toujours se font sentir « les fusils / au loin ». Et l'amour lui-même parachève cette violence : « Le désir a fait trembler / mon enfance // Le feu de ton regard / l'a incendié » Les poèmes sont le seul lieu possible d'une réconciliation : « Mes poèmes ressuscitent / ma mémoire » On y peut reprendre souffle : « Sur la feuille respirent / les mots ». Méfiance cependant : les mots, comme l'amour, peuvent vite se retourner. Parfois, « Les mots se révoltent / ils traquent les poètes / dans les jardins de la ville » Même avec les mots la paix est fragile. Le poète vit « en état d'alerte ». -
Poèmes d'après ; la route de sel
Cécile A. Holdban
- ARFUYEN
- Les Cahiers D'arfuyen
- 15 Avril 2016
- 9782845902312
Il est rare, au bout de 40 ans d'édition, d'être saisi par la simple évidence d'un texte, l'impression qu'il est là, avec une calme et sûre autorité, sans qu'il y ait besoin d'analyser ni de s'interroger. Une voix parle, singulière, étrange même, mais c'est limpide, sans artifice, sans bavure. Combien de fois cela arrive-t-il dans une vie d'éditeur ?
Et c'est d'autant plus émouvant lorsqu'il s'agit d'un premier livre (après deux minces plaquettes encore tâtonnantes) et d'une jeune femme venue d'une tout autre langue, d'une tout autre culture. C'est le cas de Cécile A.
Holdban, dont les vers impeccables évoquent d'autres paysages, insituables et comme de toujours connus. Écoutons le début du livre : « C'était une période où Dieu se taisait // Quelle main rassemblera / les fragments laissés à la nuit ? // Le sang noircit dans les maisons / des toits aux fondations / rien ne tremble, rien ne circule, / des langues de haillons captives / se taisent dans la nasse des bouches // bastion agonisant / une armée entière de mots / est prostrée dans l'aube » Cécile A. Holdban a inclus dans son livre des poèmes traduits du hongrois et de l'anglais. Car autant que la Hongrie de sa famille, la Nouvelle-Zélande de Katherine Mansfield marque sa poésie. De l'Île du Long Nuage Blanc, elle a fait la terre d'Emilia Wandt, son hétéronyme, à qui sont dédiés les poèmes de La route de sel. « Ce n'est pas nous qui écrivons les poèmes, note-t-elle dans sa postface, ce sont eux qui nous écrivent. » Avec ce livre une nouvelle voix est née dans la grande galaxie des Edith Södergran, Kathleen Raine, Karin Boye, Janet Frame, Sylvia Plath, Pierre-Albert Jourdan, Loránd Gáspár et Sándor Weöres.
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Le livre ; l'expérience des mots
Gérard Pfister
- ARFUYEN
- Les Cahiers D'arfuyen
- 9 Mars 2023
- 9782845903371
Une entreprise folle : avec Ce qui n'a pas de nom (2019) et Hautes Huttes (2021), Le Livre constitue le dernier volet d'un triptyque de près de 1000 pages.
Il en est à la fois le couronnement et le mode d'emploi. Aux 1000 quatrains de chacun des deux volumes précédents succèdent ici 500 tercets. Un essai les suit, « L'expérience des mots », qui explicite en prose le sens et la nécessité de l'ensemble, mais de la poésie et de la littérature elle-même.
Il faut prendre le titre Le Livre au pied de la lettre.
Son ambition n'est rien de moins que de faire comprendre ce que c'est qu'écrire, lire et vivre. Ce que c'est que « l'expérience des mots » qui est notre quotidien. Car nous vivons parmi les mots bien plus que parmi les choses. Et aujourd'hui tout particulièrement où nous sommes plus que jamais coupés de la nature.
À quoi sert le livre ? Non pas à nous couper davantage encore du monde, à nous isoler dans une bulle. Non, tout au contraire : il s'agit d'ajourer les mots, de les rendre transparents, fluides, pour qu'ils deviennent une fenêtre sur le réel, sur la nudité inquiétante et merveilleuse du réel. « Le livre / n'est là // que pour nous délivrer ». Nous délivrer des mots par un autre usage des mots, nous délivrer du livre lui-même.
Car, dit le premier poème, « Ce n'est pas du livre / qu'il faut parler // mais de l'expérience ». Et le second :
« Que serait un livre // si ce n'est le silence / où il nous fait entrer ». C'est cette expérience de « délivrance », d'ouverture, qui est l'enjeu du livre : notre liberté même. -
Demain dessus demain dessous
Meschonnic Henr
- ARFUYEN
- Les Cahiers D'arfuyen
- 1 Avril 2010
- 9782845901483
Tu es là et je suis là les yeux fermés du bonheur pour voir la vie qui nous passe demain dessus demain dessous sans savoir où nous allons.
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Lorsque je suis arrivé ici, j'étais un homme mort.
Il me semblait " détruit à jamais, le monde merveilleux ", et je ne voyais pas d'issue à ce champ de ruines où grouillaient encore les hyènes du champ de bataille, les chacals du mensonge et les serpents qui se repaissent de la pourriture. Comme beaucoup d'autres je déambulais dans une sorte de rêve éveillé, un cauchemar ; dans les villes, on continuait de tirer et de crier, et il me semblait bien avoir compris une chose : ce n'est pas avec des coups de feu et des cris que l'on sauvera l'humanité.
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Après L'Hespérie, pays du soir (2000), La Pénombre de l'or (2002), L'Abîme blanc (2005) , Comme un souffle de rosée bruissant (2006) et Les Ténèbres de l'espérance (2007), ce nouveau recueil, Grâce, est le sixième livre de Jean Mambrino que publient les Éditions Arfuyen. D'autres collaborations avec Arfuyen ont eu lieu : les traductions de Hopkins par Jean Mambrino ont paru sous le titre Grandeur de Dieu (2005) et il a également préfacé le livre de Pär Lagerkvist, Pays du soir (oct. 2005), et, tout récemment, Le Repos dans la lumière (2007), de Joseph Joubert dans la collection Les Carnets spirituels.
Grâce : est-il un plus beau titre pour un livre, mais aussi un titre plus exigeant ? Grâce, comme un cri pour être sauvé. Grâce comme la célébration d'un don reçu. Grâce, comme la douceur d'une vision.
Les Ténébres de l'espérance étaient le récit d'une descente en enfer : celui du manque d'espoir qui ronge notre temps, comme une maladie : « Que peux-tu saisir si tes mains sont de cendre, / tes yeux globules de poussière ? si leur rayon, / à peine allumé, n'est qu'un éclair éteint ? / La foudre de ta pensée faiblit avant / de naître, disent-ils, lumignon fragile, lueur / intermittente au sein de la poudre de ta chair. » Pour dire cet univers de tristesse et de violence, la voix de Jean Mambrino était devenue hachée, saccadée.
Dans Grâce, le changement est complet, comme en témoignent, dans leur tonalité très contemplative, les titres des suites qui constituent le livre : Un seul amour, L'humble entrée, L'intimité de l'arc-en-ciel, Vers la cime du repos, Ce baiser nommé prière, Quand j'en rêvais, Sa couleur suffit, L'espérance est ta sur-vie, Ô Toi, Silence. Comme en témoigne aussi l'épigraphe de recueil, tiré de saint Jean Chrysostome : Totalement partout. Ici l'absence ne règne plus, ici la confiance est revenue et une sérénité aimante. Ici est vraiment le royaume de la grâce, où l'homme n'est qu'attention et gratitude.
Chacune de ces neuf suites comporte dix textes, des poèmes de construction variée mais tous fondés sur un vers bref. Le premier poème donne le coup d'archet de cette célébration : « Reçu, repris, / Remis / par la merveille / qui prie en toi. // Il t'éveille / et se mesure / au clair-obscur / de ton parcours. // C'est toi / qu'il voit et veut, / votre un pour deux, / ton peu sa joie. // Un seul amour. » Dans une vie accablée par la faiblesse et les doutes de l'âge, la joie refait surface. Elle n'était que cachée, oubliée. Elle tient bon, elle ne nous lâche pas. Elle demeure quand tout semble perdu. Elle se donne quand rien ne semble plus acquis. Elle est pure grâce.
Le dernier poème, qui donne son titre à la dernière suite résonne comme une prière : « Ô toi, silence, / abîme de bonté, / absence infinie/dont le nom est amour, / infime abondance / s'effaçant sans détours, / largesse qui supplie / du fond de sa tendresse, / fondue dans le Pardon, /où nul n'est condamné. » Invocation à l'infinie tendresse, à l'insondable miséricorde, qui n'est qu'un autre nom de la grâce.
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Infiniment à venir ; pour le poème et par le poème
Henri Meschonnic
- Éditions Arfuyen
- Les Cahiers D'Arfuyen
- 17 Février 2017
- 9782845902466
Arfuyen a publié récemment l'essai lumineux de Meschonnic sur Le sacré, le divin, le religieux. Un texte qui touche au noeud des problèmes actuels. Mais la pensée de Meschonnic sait relier les choses qui sembleraient le plus éloi- gnées : « C'est le rythme qui mène le langage, le continu de tous les rythmes [...] Le rôle de la poétique est de le montrer, n'en déplaise aux dévots qui ne mesurent pas leur propre idolâtrie, à sacraliser ces textes ou la langue, ce qui ne montre rien d'autre que la confusion intéressée du sacré, du divin et du reli- gieux au profit du religieux. » Ne pas sacraliser les textes : s'engager « pour le poème », c'est s'engager pour un langage du corps : « Le poème est ce qu'un corps fait au langage. » C'est donc un engagement éthique : « La notion même de poème se transforme, elle passe d'une notion traditionnelle, esthétique, formelle à une notion éthique, celle d'une éthique et d'une poétique de la pensée. » Pour le poème est le discours qu'Henri Meschonnic a écrit pour recevoir, en mars 2006, le prix Jean Arp à l'université de Strasbourg. Il y donne une syn- thèse éblouissante de sa pensée du langage et de la société. Écrits au même moment que le discours, les poèmes d'Infiniment à venir (Dumerchez, 2004, très peu diffusé du fait d'un accident) l'illustrent parfaitement. Meschonnic visite l'Historial de la Grande Guerre de Péronne (Somme). Dans la salle cen- trale, il y voit des visages : « On marche sur des mots morts / de terre en terre il y en a / qui affleurent / on leur élève / un monument / on se serre / pour y tenir / ce qui reste / de la parole » Donner vie aux mots, donner rythme à la pensée, tel est le rôle du poème : « C'est nous / que nous venons / voir au musée / sous toutes ces apparences / des parts / de nous / l'absent c'est nous / nous le monstre ».
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Le mot de pauvreté
Paul Laborde
- Éditions Arfuyen
- Les Cahiers D'Arfuyen
- 12 Octobre 2023
- 9782845903494
Le mot de pauvreté : titre étrange. Qui d'emblée récuse le jeu illusionniste de l'écriture et consent à donner le poème pour ce qu'il est : fait de mots, seulement de mots - même si les plus lumineux. Et qui d'emblée récuse l'idée même de tout accomplisse-ment par les mots : les mots ne sont à proprement parler que pauvreté. Il n'y a en eux de richesse, de plénitude que pour autant que nous nous aveuglons. Dire donc cette pauvreté inhérente aux mots, et rien de plus : « il n'y a rien à dire de plus / que ce qui manque par-dessus tout // si quelque chose est vrai / c'est la pauvreté. » Car il n'y a de parole vraie que celle qui consent sa propre pauvreté : « la pauvreté est une conscience / sans prétention » Qui renonce à feindre, à briller. Qui laisse les choses être ce qu'elles sont : « un mot de pauvreté ne construit rien / par-dessus le vide / qui fait peur // sinon ce serait abandonner / la pauvreté » Car les choses ne sont rien que l'on pourrait dire : « tout le travail est de / comprendre que rien n'est pas une idée / rien n'est rien d'abstrait » Les choses ne sont que les choses, si pauvres que nous ne savons rien en dire et qu'incapables de faire face à ce rien nous en faisons une idée : « ni échec ni succès : une langue / pauvre ne serait plus dupe d'elle-même // (celui qui parle en croyant / ce qu'il dit / croit en la richesse) » Mais voulons-nous vraiment comprendre? On dirait que sans cesse « la pauvreté s'éloigne // nous / entretenons / les clôtures ».
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"la poésie c'est autre chose" 1001 définitions de la poésie
Gérard Pfister
- Éditions Arfuyen
- Les Cahiers D'Arfuyen
- 15 Mai 2008
- 9782845901216
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Il ne s'agit pas ici d'un livre de poésie au sens où on l'entend d'ordinaire. Aucun recours ici à la magie du rythme et aux prestiges du lyrisme. Une langue nue, perdue dans la contemplation d'un objet bien présent et qui toujours lui échappe. Le Séjour : rien de plus simple, nous sommes ici, maintenant. Nous en faisons tous chaque jour l'expérience. Et nous savons bien aussi que ce n'est pas pour toujours. Que notre permis de séjour un jour expirera, pour un autre séjour plus mystérieux encore. Car le séjour est mystérieux, comme tout ce qui est trop évident. Qu'est-ce que le Séjour ? Quel est cet ici, où il a lieu ? Quel est ce temps où il a cours ? Et qui est celui-là qui est ici «séjournant» ? Telle est la méditation de ce livre. En épigraphe du Vol du loriot, Goorma avait inscrit une phrase de Thérèse d'Avila. Ici c'est une remarque de Sherlock Holmes : «Je ne vois rien de plus que ce que vous voyez mais je me suis entraîné à le remarquer.» Le livre comporte huit parties, comme autant d'étapes dans l'approfondissement de cette unique méditation, obsédante, entêtante, comme on le dit du parfum d'une fleur. : Le séjour, Le souterrain, Le retour, La rivière, Le secret, Le regard, Derrière la porte, Le jour sait. Pas de digression, pas de facilités, pas de relâchement. Une attention droite, aiguë, sans faille. Et une écriture qui n'est que la fine pointe de cette attention. Voici les premiers mots, qui nous dressent le décor, ou plutôt nous mettent de plain pied dans notre existence actuelle, quotidienne : «Le séjour de l'éveil est dans la clarté de l'esprit, dans cette lumière irradiant toute chose de sa présence. Toute chose n'a lieu qu'en son séjour. Partout circule l'énergie, aucune chose ne serait sans elle ; mais la pierre, la fleur, la terre ne se prennent pas pour autre chose qu'une manifestation de cette énergie, aucune chose ne serait sans elle ; mais la pierre, la fleur, la terre ne se prennent pas pour autre chose qu'une manifestation de cette énergie. Seul l'homme pense être quelqu'un, se détache de sa source jusqu'à l'oublier.» Et, au terme de la méditation, quand Le jour sait, ces presque derniers mots : «Le jour dit à ses fils : la nuit, regardez mes soeurs les étoiles. Je serai parmi elles au milieu de vous. Je suis l'immobile plateforme, la capacité ouverte où le mouvement s'accomplit. Et les millions d'étoiles dans le ciel sont autant de jours. Et nos jours, nos jours sont au fil des jours autant de perles qu'un fil de nuit relie. Un point à l'envers, un point à l'endroit. Jusqu'à se rompre. Elles brillent alors, un instant, avant de rouler sous la table de l'oubli.» C'est de nous que parle ce livre, de nous tous, si nous nous souvenions clairement avec Maître Eckhart, comme l'indique la dernière épigraphe, que tous «nous avons la connaissance immédiate de la vie éternelle».
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Connaissance par les larmes
Michèle Finck
- ARFUYEN
- Les Cahiers D'arfuyen
- 7 Septembre 2017
- 9782845902565
Après Balbuciendo (2012) et La Troisième Main (2015), Connaissance par les larmes est le troisième ouvrage de Michèle Finck publié par les Éditions Arfuyen.
Longtemps, Michèle Finck n'a publié ses poèmes que dans des revues. Ce n'est qu'en 2007 qu'a paru son premier recueil, L'Ouïe éblouie, qui réunissait vingt ans de poésie (Voix d'encre). Parallèlement, Michèle Finck a traduit des poètes allemands (Trakl) et publié des études sur Bonnefoy, Jaccottet ou Alain Suied, ainsi que des essais sur les rapports de la poésie avec la danse, les arts plastiques (Giacometti et les poètes, Hermann, 2012), et la musique (Épiphanies musicales en poésie moderne, de Rilke à Bonnefoy, Champion, 2014).
Le présent recueil opère une impressionnante synthèse entre les larges pos- sibilités qu'ouvraient ses précédents ouvrages : l'autobiographie, très présente dans Balbuciendo ; la transposition d'oeuvres musicales en courts poèmes, comme dans La Troisième Main ; la fusion entre bribes de films et poèmes semi- narratifs, à quoi la préparait sa recherche sur Littérature comparée et cinéma (Presses universitaires de Strasbourg, 2017).L'épigraphe de Marina Tsvétaïeva en tête du recueil : « Ô Muse des larmes, la plus belle des Muses ! » explicite le titre comme aussi l'un des tout premiers poèmes : « Vivre au bord du suicide / Comme au bord d'un lac profond / Qui calme et apaise. » Une paradoxale séré- nité règne ici, comme il y a dans les larmes une étrange douceur et un apaise- ment. Comme si elles apportaient une forme de connaissance que rien d'autre ne saurait apporter. Comme si celes étaient l'essence de la connaissance ultime que peut ouvrir la poésie : « Poésie : / Connaissance / Par / Les / Larmes // Y / Brûler //Anonyme / Universelle. »
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Après L'ailleurs des mots (2007), La Lune noircie (2009), Je renaîtrai (2011), Soleils chauves (2012), Galaxies intérieures (2013), Un monde de pierres (2015), Pressée de vivre suivi de Après est le septième livre d'Anise Koltz publié par Arfuyen.
Quel titre que celui-ci pour le recueil d'une femme qui aura l'an prochain ses 90 ans : Pressée de vivre !
Mais non sans ironie, Anise Koltz ajoute ce sous-titre :
« suivi de Après »...
Lors de la journée d'études consacrée à Anise Koltz par l'université de Strasbourg, Michèle Finck, admirable lectrice, a intitulé sa communication :
« Anise Koltz l'insoumise ». L'écrivaine luxem- bourgeoise n'est pas du genre, en effet, à se soumettre à aucune condition : celle de femme, celle de germanophone ni même celle de « personne âgée », comme l'on dit poliment. Plutôt elle dirait, comme la chanteuse Brigitte Fontaine, si elle n'était si grande dame : « Je suis vieille, et je vous emm... ! » « Dans mon habit de vie, écrit Anise Koltz / je brûle / sans me consumer. » Malgré l'âge et les épreuves, la rage d'Anise Koltz reste intacte. « De quel droit / la mort me revendique-t-elle ? // Déjà j'avance avec l'ombre / de quelqu'un d'autre. » Face à l'inévitable, Anise Koltz n'abdique rien de sa liberté souveraine.
Vivre, et encore vivre, nous dit-elle. « L'après » suivra !
« Dans la poésie, écrit-elle / j'écoute le silence // Dans le silence / j'écoute la mort / et le recommen- cement. » Car pour Anise Koltz, il n'y a pas de fin, tout est recommencement, métamorphose, et il faut seulement avoir l'énergie de porter cette passionnante, cette épuisante éternité.
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« La tautologie est selon moi le sommet caché, impossible, de la poésie (...) Que la chose soit soi-même soi est le plus beau trésor, et le mieux caché qui soit, la plus grande évidence et le plus grand mystère. Tout le monde passe devant. D'où la chose tire-t-elle la ressource d'être soi, sinon de soi ? Mais comment fait- elle ? » (De l'image, 2007).
Ces lignes de Laurent Albarracin résument sa démarche, aussi simple que rigoureuse. Dans cette écriture, pas de facilités lyriques ni de procédés formalistes, mais simplement l'effort de rester au plus près des choses. Discipline féconde si l'on en juge par le nombre de livres qui constituent l'oeuvre d'un poète de moins de 50 ans, publiés chez de petits éditeurs, mais aussi bien chez Flammarion ou Rougerie.
Avec RES RERVM, Albarracin pousse au plus loin sa quête paradoxale en la faisant entrer dans le champ de l'alchimie. Ce texte, émanant d'un prétendu « Collège de Réisophie », aurait, nous dit-on, été trouvé chez un bouquiniste spécialisé en ésotérisme : « Nous livrons simplement ce texte brut à la perplexité de tous. » Vertigineuse méditation que celle-ci : « Ce qui fait la chose c'est qu'elle se répète / En ce seul exemplaire d'elle qu'elle est / Et que pour être encore elle insiste / À jamais une seule et unique fois, / Comme si elle était toute la chaîne / D'emblée de son infini processus. » Mais tout aussi bien méditation loufoque : « Le rire borde les choses d'une toute petite rivière / Où s'en va l'écorce des reflets, le tain des écorchures. / Au bord des choses cette toute petite rivière / Mélange allègrement les poissons et les hameçons. » Entre vertige et rire, l'étonnante poésie d'Albarracin.
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La ballade des hommes-nuages
Michèle Finck
- ARFUYEN
- Les Cahiers D'arfuyen
- 13 Janvier 2022
- 9782845903241
Michèle Finck poursuit l'élaboration d'une oeuvre à nulle autre pareille, où l'autobiographie tient une place essentielle et s'exprime d'emblée dans une polyphonie des formes d'expression artistique, musique mais aussi peinture et cinéma.
Sur un piano de paille, son précédent recueil, se concluait sur ces derniers vers : « Poésie dire ce que c'est : la condition humaine. / La musique est l'autre face de la mort. / Sa face terrestre. » C'est une autre face de l'humaine condition qui est au centre de ce nouveau livre : la maladie mentale, envisagée non de manière abstraite, mais à travers la figure de l'homme aimé. Un parmi tant d'autres « hommes nuages » enfermés dans la maladie :
« Pitié pour les hommes-nuages / Qui combattent effroi aux frontières / De la folie » Ce livre n'est pas un recueil de poésie comme on l'entend. Il est d'un seul tenant, d'une seule coulée brûlante de douleur et de tendresse. Et dans le même temps totalement maîtrisé, construit avec un soin obsessionnel : « Être poète, écrit-elle / Passer vie / À chercher / Mot qui manque. / Pas pour le mot. / Pour la guérison. / Pour l'amour. / Pour sauver l'autre. » Les précédents livres de Michèle étaient des tombeaux, peuplés de pleurs et de cris, celui-ci est un chant d'amour et d'un paradoxal bonheur :
« Sans toi homme-nuage / C'est la vie / Sans la vie ». « Homme-nuage / Femme-nuage : /Nous ».