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"Car un laque décoré à la poudre d'or n'est pas fait pour être embrassé d'un seul coup d'oeil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l'un ou l'autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l'ombre, il suscite des résonances inexprimables.
De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l'agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d'air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l'homme à la rêverie. N'étaient les objets de laque dans l'espace ombreux, ce monde de rêve à l'incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr une bonne part de leur fascination.
Ainsi que de minces filets d'eau courant sur les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont captés, l'un ici, l'autre là, puis se propagent ténus, incertains et scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins à la poudre d'or." Publié pour la première fois en 1978 dans l'admirable traduction de René Sieffert, ce livre culte est une réflexion sur la conception japonaise du beau.
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« Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant » : ainsi commence La Petite Lumière. C'est le récit d'un isolement, d'un dégagement mais aussi d'une immersion. Le lecteur, pris dans l'imminence d'une tempête annoncée mais qui tarde à venir, reste suspendu comme par enchantement parmi les éléments déchaînés du paysage qui s'offrent comme le symptôme des maux les plus déchirants de notre monde au moment de sa disparition possible.
L'espace fait signe par cette petite lumière que le narrateur perçoit tous les soirs et dont il décide d'aller chercher la source. Il part en quête de cette lueur et trouve, au terme d'un voyage dans une forêt animée, une petite maison où vit un enfant. Il parvient à établir un dialogue avec lui et une relation s'ébauche dans la correspondance parfaite des deux personnages. Cette correspondance offre au narrateur l'occasion d'un finale inattendu.
La petite lumière sera comme une luciole pour les lecteurs qui croient encore que la littérature est une entreprise dont la portée se mesure dans ses effets sur l'existence. -
Varlam Chalamov a passé dix-sept ans de sa vie (de 1937 à 1954) au Goulag, à la Kolyma, une presqu'île de l'est de la Sibérie. Dans les récits qu'il en rapporte, le texte est avant tout matière : il est corps, pain, sépulture. À l'inverse, la matière du camp, les objets, la nature, le corps des détenus, sont en eux-mêmes un texte, car le réel s'inscrit en eux.
Le camp aura servi à l'écrivain de laboratoire pour capter la langue des choses. Il est, dit Chalamov, une école négative de la vie. Aucun homme ne devrait voir ce qui s'y passe, ni même le savoir. Il s'agit en fait d'une connaissance essentielle, une connaissance de l'être, de l'état ultime de l'homme, mais acquise à un prix trop élevé. C'est un savoir que l'art, désormais, ne saurait éluder. -
Grands et petits fonctionnaires qui n'ont d'existence que par leurs fonctions, mégères castratrices ou femmes idéales sur papier glacé, figures d'hommes persuadés de " peser " sur la vie et le monde mais toujours en rivalité avec d'autres qui ont encore " plus de poids ", menteurs et arnaqueurs, parfois non dénués de talent, tels sont les personnages de Nikolaï Gogol.
Le décor de ses textes, car il s'agit bien d'un décor, n'est guère plus réjouissant : une métropole qui a poussé comme un champignon en un lieu insalubre et qui écrase l'individu, l'acculant à la mort ou à la folie ; un territoire immense, sorte de gigantesque fondrière dans laquelle il est aisé de s'enliser et pourtant traversée par un véhicule qui file à vive allure : où va-t-il ainsi ? Vers quoi ? Pas de réponse...
L'ensemble paraît dramatique, sinon désespéré. Or, le mot, la phrase de Gogol font rire. Rire absurde, grotesque, qui peut être méchant ou débonnaire. Sous la plume de l'écrivain, les perspectives s'inversent, le grand se fait insignifiant, l'insignifiant se fait grand, l'humanité se désincarne ou part en morceaux. Comme l'avait bien vu Nabokov, entre le comique et le cosmique il n'y a chez Gogol qu'une lettre de différence...
La traduction d'Anne Coldefy-Faucard parue en 2005, revue pour cette nouvelle édition, restitue le texte original dans son intégralité et en donne toute la saveur stylistique.
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Dans ce récit écrit sans artifices, tönle, berger du plateau d'asiago, à la frontière du royaume d'italie et de l'empire austro-hongrois, doit, pour survivre et nourrir sa famille, se faire contrebandier, soldat, mineur en styrie, colporteur d'estampes jusqu'aux carpates, jardinier à prague, gardien de chevaux en hongrie.
Mais pour ce solitaire anarchisant, le monde finit avec la première guerre mondiale, quand le plateau se transforme en un champ de bataille oú il erre obstinément en compagnie de ses moutons. c'est avec eux qu'il repassera la frontière, prisonnier civil sur ces terres oú il fut libre. il mourra au pied du plateau. les romans de mario rigoni stern (1921-2008) sont devenus en italie comme en france des classiques.
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Dans la banlieue de Barcelone, à la fin des années 1990, une adolescente d'origine marocaine issue d'une famille conservatrice rencontre une jeune fille qui s'est affranchie aussi bien des règles pesant sur leur communauté que des conventions sociales.
L'enthousiasme, l'énergie et la détermination avec lesquels sa nouvelle amie surmonte les obstacles l'encouragent à lui emboîter le pas. Ensemble, elles vont conquérir de nouveaux espaces, impensables pour leurs mères.
Hommage aux femmes courageuses, qui aspirent à être les sujets de leur propre vie, ce roman énonce l'impérieux souhait de trouver l'amour et la liberté dans un environnement fait d'assignations permanentes. C'est aussi le récit poignant d'une émancipation par l'écriture. -
Le monde de demain : Une Europe souveraine et démocratique - et ses ennemis
Robert Menasse
- Verdier
- La Petite Jaune
- 13 Février 2025
- 9782378562250
Après 1945, les nationalismes européens cédèrent la place à la coopération. Aujourd'hui ce projet de paix est menacé : les échecs démocratiques s'ajoutent aux crises qui conduisent au repli des populations et à la peur. Et, dans de nombreux pays, les hommes politiques ne font plus que fustiger l'Europe et attiser le nationalisme.
Robert Menasse explique et défend ici l'idée européenne, invitant à critiquer et à surmonter les contradictions systémiques de l'Union.
L'Europe est une fois encore à la croisée des chemins : soit nous réussissons ce qui n'a encore jamais eu cours dans l'histoire, à savoir la construction d'une démocratie postnationale, soit nous retombons dans l'Europe des seuls États-nations - avec les conséquences et les dangers que l'histoire ne devrait que trop nous rappeler. -
Des républicains espagnols, combattants de la guerre civile et réfugiés en France après la victoire des troupes fascistes de Franco, sont capturés par les Allemands lors de la débâcle de 1940 et déportés en tant qu'apatrides indésirables à Mauthausen.
Commence alors un long calvaire dont Joaquim Amat-Piniella, lui-même interné plus de quatre ans dans le camp, fait ici le récit « en forme de roman » pour être le plus fidèle possible à la vérité intime de ceux qui ont vécu cette tragédie. Tout y est vrai : les faits, les événements, l'avilissement dans lequel les maîtres nazis veulent entraîner leurs esclaves déportés, l'instinct de survie qui peut conduire aussi bien à céder à « l'esprit du camp » qu'à résister à la déshumanisation par la solidarité.
Joaquim Amat-Piniella (Manresa, 1913 - Barcelone, 1974) a rédigé son roman après sa libération, en 1945 et 1946. Il a tenté de le faire éditer en Espagne, mais la censure l'en a empêché pendant dix-sept ans. Le livre paraîtra en 1963. Longtemps ignoré et inconnu hors d'Espagne, K.?L.?Reich mérite de prendre place auprès des oeuvres de Primo Levi, Jorge Semprún ou Varlam Chalamov. -
Dans une bourgade paisible de France
Mikhaïl Ossorguine, Claire Delaunay
- Verdier
- Poustiaki
- 13 Mars 2025
- 9782378562199
En 1940, dès les premiers jours de l'Occupation, Mikhaïl Ossorguine, poursuivi par les nazis pour ses opinions politiques, se réfugie avec son épouse à Chabris, village de la rive gauche du Cher et ligne de démarcation.
C'est le troisième exil de l'écrivain russe qui avait passé dix ans en Italie fuyant les persécutions de la police tsariste et qui, revenu dans son pays, en avait été expulsé en 1922, cette fois par les bolcheviks. L'exode de 1940 l'arrache à la « petite patrie » que les émigrés russes avaient recréée à Paris. Après l'armistice, il pense que c'en est fini non seulement de la France, mais de l'humanisme européen
en tant que tel.
Or, c'est au sein de cette France rurale, défaite mais pas vaincue, que sa vie retrouve un sens. Par leur obstination à persévérer dans leurs gestes quotidiens, accomplis au rythme des labeurs, ses voisins de hasard opposent, à petit bruit, une résistance tacite à l'occupant. Renonçant à écrire de la fiction, impossible pour lui en ces sombres temps, Ossorguine livre ici la chronique de ces événements minuscules qui composent l'Histoire. -
Au seuil de la mort, un homme achève l'expérience extrême de l'abandon. Pour conjurer l'angoisse, il raconte avec pudeur et douceur, sa cruelle traversée, réveillant un à un, dans ce village oublié des Pyrénées aragonaises, les visages que la maladie, la vieillesse, la guerre mais surtout l'exode ont emportés jusqu'au dernier.
Ce chant âpre et fascinant - écrit dans une langue simple, imagée, sensible et enveloppante -, emporte celui qui écoute vers un point de vertige où s'évanouissent ensemble l'éphémère et l'éternel. -
Paysage de fuite
Wolfgang Hermann, Olivier Le Lay
- Verdier
- Der Doppelgänger
- 20 Mars 2025
- 9782378562458
Hospitalisé après un grave malaise, un écrivain tourmenté n'a d'autre choix que de laisser venir à lui ses souvenirs récents ou plus anciens dans un monologue intérieur d'une intensité saisissante, oscillant entre la vie et la mort.
Cet être instable et fragile, hanté par la disparition de son frère, s'aperçoit que toute sa vie n'aura été que fuites. Après avoir tenté d'élever seul son fils, il a cherché à retrouver un équilibre en séjournant dans divers pays. Mais les bonnes résolutions ne sont désormais plus de mise. Les illusions non plus. Les morts viennent lui rendre visite tandis qu'il semble se rapprocher d'eux, bien que l'heure de les rejoindre n'ait peut-être pas encore sonné. La frontière entre le passé et le présent, l'enfance et l'âge adulte, finit alors par s'estomper... -
Un cochon sème la panique dans le centre de Bruxelles. Autour de la place de la Bourse, un Turc de passage est renversé par l'animal. Un vieux monsieur lui tend la main pour l'aider à se relever?: « Gouda Mustafa prit la main et se releva. Son père l'avait mis en garde contre l'Europe.?» C'est sur cette scène symbolique que débute le roman, haletant et débordant d'imagination, qui nous emmène dans le monde ubuesque de «?l'Europe?».
L'agression du cochon fou n'est pas la seule péripétie du début de ce livre?: dans le même quartier, un homme est tué d'une balle de revolver. Qui est-il, pourquoi a-t-il été tué?? La question sous-tendra le récit jusqu'à sa fin, sans qu'on y apporte de véritables réponses. Le coup de feu a été entendu par un voisin, le Dr Martin Susman, qui travaille à la Commission européenne et sera l'un des personnages principaux d'une autre branche du récit. Ainsi commence à tourner un incroyable manège sur lequel Menasse dispose ses personnages avec une inventivité sans borne et une joie créative aussi sardonique que communicative.
Dans cette atmosphère tantôt spectrale, tantôt burlesque, mais toujours d'une drôlerie aussi fine qu'irrésistible, Menasse s'amuse alors à entremêler la trame de ses récits et à provoquer des croisements entre tous ses personnages. Bruxelles est la scène de son théâtre, il y déroule son récit comme un metteur en scène de talent?: le rythme est précis, l'humour sec et omniprésent, le fond pensé et solidement charpenté. -
Jeune lesbienne sans attaches, la narratrice de Mammouth décide de tomber enceinte. Elle organise une fête clandestine de fécondation, prend les hommes au hasard, abandonne son travail universitaire et quitte Barcelone pour s'installer seule dans un mas décrépit sur des hauteurs isolées quelque part en Catalogne.
Une nouvelle vie commence alors, une vie à l'état brut, ramenée à l'essentiel. Elle fait des ménages, biberonne des agneaux, gagnant tout juste de quoi se nourrir et constituer son garde-manger pour l'hiver. Pour tromper la solitude, il n'y a que le berger d'à côté et Toc-Toc, le chien crasseux qui s'est invité chez elle. Peu à peu, une transformation s'opère, vécue au plus près du corps, comme un devenir-animal.
Ce nouveau roman d'Eva Baltasar, loin d'un éloge du retour idyllique à la terre, nous conte, dans un style sans fioritures et souvent drôlatique, l'itinéraire d'une femme sauvage sans concession. -
Le 18 mai 1938 marqua pour Georges-Arthur Goldschmidt un changement de vie radical : au lendemain de son dixième anniversaire, lui et son frère aîné furent envoyés par leurs parents loin d'Allemagne afin d'échapper à la persécution nazie.
Ce qui commence ce jour-là est un « après-exil » qui, en réalité, ne connaîtra pas de fin. Non pas un simple événement mais, pour celui qui a été chassé de son pays en raison de sa naissance, la découverte d'une situation existentielle.
Ce récit d'une rare intensité dit la souffrance de cette condition nouvelle qui eut pour conséquence, entre autres, ce que l'auteur caractérise comme son « dédoublement linguistique ». -
Pendant des décennies, dans les Alpes de Carinthie, en Autriche, la famille de Josef Winkler a cultivé un champ dans lequel avait été enseveli l'un des pires criminels nazis, Odilo Globocnik, principal responsable du massacre des Juifs autrichiens. Il fut enterré là sans sépulture après son suicide, en 1945.
Les Winkler, comme tout le village, se seront donc nourris au fil des ans de pains confectionnés avec les céréales récoltées là, sans que le père, qui savait tout, en dise un mot.
Dans une langue pleine de fulgurances, quasi incantatoire, l'auteur répond ici au besoin impérieux de s'adresser une dernière fois à son père disparu et de nommer ce qui a été passé sous silence, pour que cesse enfin de triompher la culture de la mort dans laquelle il a été élevé. -
Le chemin barré : Roman du frère
Georges-Arthur Goldschmidt
- Verdier
- Litterature Allemande
- 16 Janvier 2025
- 9782378562359
Dans ce récit, paru en allemand en 2022, l'auteur se souvient de son frère aîné, presque absent jusque-là de son oeuvre autobiographique. Pourtant, à partir du 18 mai 1938, Erich Goldschmidt (1924-2011) a partagé avec son cadet l'exil, d'abord en Italie, puis en France, dans un pensionnat en Haute-Savoie. Quand les deux frères sont dénoncés comme Juifs et que les nazis viennent les arrêter, tous deux s'enfuient. Erich entre alors dans la Résistance. Par la suite, il deviendra un officier français.
L'effort de Georges-Arthur Goldschmidt est ici de tenter de voir le monde par les yeux de ce frère aux dons éclatants, dont la destinée lui paraît avoir été entravée de multiples façons. Avec ces pages empreintes d'une émotion contenue, l'écrivain parvenu au soir de sa vie s'acquitte de sa dette envers ce frère si différent de lui. -
On lira ici pour la première fois en français les sonnets de l'Arioste (1474-1533), le génial auteur du Roland furieux. Italo Calvino loua l'énergie de ces poèmes - l'esprit de l'Arioste, écrit-il, c'est « l'élan en avant ». Ces sonnets sont pleins d'allant et c'est sans doute pourquoi les poètes comme Du Bellay et Ronsard y puisèrent leur inspiration. L'Arioste est partout libre : pétrarquiste, il n'est pas alourdi par le repentir chrétien. Il est sensuel, délicat, ironique, cultivé, raffiné et direct. Il mélange les tons de la louange et du dépit, de l'invective et du thrène. Il sonne vrai.
Les amoureux de l'amour reconnaîtront une voix originale dans ces poèmes du corps et du désir ; les amoureux de l'Italie rêveront à la cour de Ferrare ; les amoureux du sonnet goûteront la technique d'un poète aux ouvrages ciselés parfaitement rendus dans la traduction inventive de Frédéric Tinguely. Quant aux amoureux des lettres, ils ne seront pas mécontents de rencontrer une oeuvre portée par tant de délicatesse et tant de goût. Entrer dans les sonnets de l'Arioste, c'est faire l'expérience d'une densité qui invite à tirer le meilleur de soi.
Personne ne restera insensible aux couleurs de ces vers, à leurs lumières, aux ombres qui les traversent et qui sont aussi nos ombres. -
Ce ruban narratif d'articles de Dolores Prato, parus dans les journaux entre les années 1950 et 1978 pour la plupart d'entre eux, tente de nouer les émois de l'autrice vis-à-vis de Rome. Cette Rome qui, selon elle, en devenant la capitale de l'Italie, a été dévastée au lieu d'être comprise.
Les mots de Prato visent les trahisons faites à une ville vulnérable aux forces du pouvoir mais qui ne se plie pas aux forces du temps. Par son écriture si particulière, les images deviennent flamboyantes et dessinent une Rome qui révèle des merveilles.
Dolores Prato apporte sa sensibilité à la fois mélancolique et joyeuse à ce monde romain qui se transforme en Histoire bien vivante et réelle. À travers l'évocation si singulière de la Ville éternelle, elle pose des questions cruciales, qui font écho à notre contemporanéité, et exprime avec clarté un amour inconditionnel pour le peuple. -
Publié en 1929, et inédit en français, Une année d'école évoque une année scolaire (1909-1910) dans un lycée de Trieste, avec ceci de particulier?: pour la première fois, dans cette classe préparatoire à l'université, parmi une vingtaine de garçons, se trouve... une fille. Edda Marty a préparé l'examen d'admission qui lui ouvrirait les portes des études supérieures. Et elle a réussi, haut la main.
Stuparich nous offre ici un portrait de jeune fille rayonnante et complexe. Edda s'est installée avec sa famille à Trieste. Brillante, imaginative, animée d'une volonté peu commune, à l'aise tout de suite parmi ses condisciples masculins, plutôt maladroits et immatures, elle opère involontairement chez eux une transformation. Désarçonnés, en proie à des sentiments nouveaux, les garçons ramènent Edda à son statut de femme, alors qu'elle voudrait n'être pour eux qu'une camarade comme les autres. Elle lutte alors pour ne pas être assignée au rôle conventionnel qu'on veut lui imposer et contre ces tentatives masculines de la prendre au piège, d'aliéner la liberté à laquelle elle aspire de toute son âme.
Elle finit pourtant par trouver auprès d'Antero une consolation amicale. Puis vient la sensualité brûlante de l'adolescence. Mais la tentative de suicide d'un des élèves de la classe qui, amoureux d'elle, exalté et désespéré, se tire un coup de pistolet dans le coeur, va bouleverser cet amour naissant. C'est à Edda qu'il reviendra de ramener à la vie le jeune rescapé. Ainsi sacrifie-t-elle son amour pour Antero, par devoir et parce qu'une fois encore on l'assigne à être la femme dont le rôle est défini et circonscrit par les autres.
Ce court roman est avant tout, et c'est là toute sa modernité, une magnifique ode à la jeunesse et à la détermination?: il se termine d'ailleurs par un délicieux renversement carnavalesque dans une scène d'une grande puissance émancipatrice, ouvrant des perspectives aux personnages, malgré la guerre à venir. Évocation très actuelle des rapports entre les sexes, passages éprouvants de l'exaltation à la dépression, de la sensualité à l'abnégation, entrecroisement de la mort et de la vitalité la plus débridée?: tels sont quelques-uns des traits saillants de ce bref roman. -
« En quelle langue parler au lecteur ? ».
Souvenirs de la Kolyma est un cycle de textes écrits par Varlam Chalamov dans les années soixante-dix, soit une vingtaine d'années après sa libération des camps et son retour. Ils sont complétés par des évocations de ses contemporains, écrivains ou poètes, comme Pasternak, ainsi que par une étrange liste de 1961 qui énumère avec une sècheresse poignante ce qu'il a « vu et compris dans les camps ». Ces souvenirs, comme les Récits de la Kolyma, transmettent la réalité par fragments et s'interrogent avant tout sur ce que peut la langue et ce qu'est la mémoire.
« J'essaierai de restituer la suite de mes sensations - je ne vois que ce moyen de préserver l'authenticité de la narration. Tout le reste (pensées, paroles, descriptions de paysages, citations, raisonnements, scènes de la vie courante) ne sera pas suffisamment vrai. Et pourtant je voudrais que ce soit la vérité de ce jour-là, la vérité d'il y a vingt ans, et non la vérité de mon actuelle appréhension du monde. ».
Avec Souvenirs de la Kolyma, la collection « Slovo » poursuit le travail d'édition complète des oeuvres en prose de Varlam Chalamov, auteur fondamental du xxe siècle, désormais reconnu comme un des grands écrivains non seulement de l'histoire des camps, mais surtout de la littérature mondiale.
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L'île polaire de Kolgouev est le coeur du récit. C'est en lui donnant une dimension imaginaire que Golovanov parvient à décrire avec le plus de fidélité cet espace géographique et mental. Il raconte ses expéditions en mêlant à ses impressions, ses propres sensations, des légendes, des contes, des dialogues, composant ainsi une étrange et puissante partition symphonique qui fait de son livre une sorte d'épopée contemporaine sur les cendres des temps mythiques. Golovanov ne se limite pas à " chanter l'espace " et l'antique horde nomade du Grand Nord - des Nénets en particulier -, il montre les désastres infligés par la civilisation industrielle et le communisme à cette terre et à ses hommes, et la déréliction dans laquelle ils se trouvent aujourd'hui. Se faire une opinion sur l'originalité de cette prose, seuls peuvent le tenter ceux qui décident, aux côtés de l'auteur, d'entreprendre le voyage.
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Le livre de la Caspienne : Azerbaidjan
Vassili Golovanov
- Verdier
- Littérature Russe
- 14 Septembre 2023
- 9782378560690
Poussé par la conscience de son ignorance alors que tous les jours il croise des gens venus du Caucase et d'Asie centrale pour chercher refuge à Moscou, Vassili Golovanov décide de partir explorer les régions bordant la Caspienne. Se plongeant dans l'histoire, l'islam et le soufisme, le bouddhisme et le zoroastrisme, bousculant les clichés, il parcourt les montagnes, les steppes ou les déserts, glisse parmi les lotus du delta de la Volga, escalade des volcans de boue, fuit les quartiers pour nouveaux riches, passe de la lumière de la plus haute poésie à l'ombre des dérives mafieuses, du terrorisme et des guerres qui n'en finissent jamais.
Pendant des années, il voyage, lit, rêve, fait des rencontres. Tout sans cesse le ramène à cette mer où jadis s'arrêtait le monde.
Le premier livre de ce grand voyage autour de la Caspienne est consacré à l'Azerbaïdjan, ancienne république soviétique, indépendante depuis 1991. Les événements les plus actuels y résonnent douloureusement. Golovanov relate les effets d'une colonisation qui n'a pas dit son nom, la volonté de mainmise de la Russie et les conséquences de la guerre contre l'Arménie, les aberrations d'un régime autoritaire et corrompu, les rivalités entre grandes puissances pour le pétrole, les désastres humains et écologiques. -
La tragédie de Monsieur Morn
Vladimir Nabokov, Daria Sinichkina
- Verdier
- Poustiaki
- 25 Avril 2024
- 9782378561932
Dans un pays imaginaire, un roi prend le pouvoir après une guerre civile et oeuvre à l'épanouissement de la culture, des sciences et des arts. Personne ne connaît son nom ni son visage. Son rival, guide intellectuel des radicaux, rêve d'une revanche. Pendant ce temps se joue un drame domestique : un ancien rebelle revenu d'exil découvre que sa femme est amoureuse d'un certain Monsieur Morn...
En dépit de sa tonalité parodique, signature bien connue de Nabokov, cette pièce aux accents shakespeariens est une tragédie à part entière, écho poignant d'un drame personnel (le père de Nabokov fut assassiné en 1922), dans le sillage de la révolution russe et de la guerre civile.
Inédite en français, La Tragédie de Monsieur Morn a été écrite durant l'hiver 1923-1924. Elle n'a été ni jouée ni publiée du vivant de l'auteur. -
"Le Dit du Genji", ce grand classique de la littérature universelle dont Borges disait qu'il n'a jamais été égalé, fut écrit au début du onzième siècle par dame Murasaki, une aristocrate qui vécut à la cour impériale de Heian-kyô (l'actuelle Kyôto).
Cependant, écrit René Sieffert qui a travaillé à sa traduction près de vingt ans, "pas un instant je n'ai eu le sentiment d'un véritable dépaysement, ni dans le temps ni dans l'espace, mais au contraire me hantait l'impression constante d'être engagé dans une aventure mentale étonnamment moderne. Il m'a semblé découvrir des situations, des analyses, des dialogues qui pouvaient avoir été imaginés hier, si ce n'est demain." Ce "roman-fleuve", qui retrace le destin politique et la riche vie amoureuse d'un prince, le Genji, vaut autant par la vigueur de la narration que par l'évocation d'un climat, une atmosphère, un état d'âme, les accords d'une cithare ou le parfum d'un prunier en fleur - illustration parfaite de l'impermanence de ce monde et de la vanité ultime de toute entreprise humaine.