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« Dans quel monde vivons-nous ? » : le plus souvent, dans cette question, le point d'interrogation vaut autant qu'un point d'exclamation.
Elle sonne à la fois sur le mode de la révolte et sur celui de la résignation. Dans l'usage ainsi fait du mot, ou de l'idée, de « monde » se cache la valeur la plus forte qu'on puisse lui attacher : celle du cosmos, ensemble harmonieux des corps célestes dont les orbes portent les rapports de l'ordre universel, c'est-à-dire tourné vers une unité intégrale. C'est le sens et le balancement de cet ordre et de cet un qui se trouvent donc implicitement interrogés par cette question.
Il se trouve qu'aujourd'hui l'expérience, tant scientifique qu'existentielle, du monde déjoue la postulation « cosmique » dans laquelle la pensée semblait inévitablement devoir se déployer. D'une part, le monde-cosmos est éclaté ou désuni ; d'autre part, l'idée même de « monde » (un, ensemble) ne répond plus ni à l'investigation physique ni à l'interrogation métaphysique : « plurivers » ou « multivers » sont à l'ordre du jour des physiciens tandis que « multiplicité » et « multitude » traversent les sociologies autant que les ontologies.
En un temps où nous disons simultanément que le monde est toujours plus « globalisé » (donc unifié) et que nos modes de vie, de culture sont toujours plus hétérogènes, il faut remettre en chantier cette question : nous continuons à nous considérer comme vivant dans un monde alors qu'il n'est plus certain que nous puissions user encore de ces termes. Nous ne sommes plus ni « dans » ni « devant » le monde, mais celui-ci dérobe et déporte de manière vertigineuse la consistance de sa réalité « en soi ».
Et peut-être ne vivons-nous pas plus dans un monde ou dans plusieurs mondes que le ou les mondes ne se déploient, divergent ou se recoupent en nous et par nous.
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Chaos multiples ; Derida et Goodman face à l'ordre et à l'un
Aurélien Barrau
- Galilee
- La Philosophie En Effet
- 12 Octobre 2017
- 9782718609591
Notre hypothèse est la suivante : pour des raisons différentes et avec des méthodes différentes, Derrida et Goodman ont, chacun, ébranlé l'un des deux piliers qui sous-tendent l'essentiel de la tradition philosophique. Derrida, par le jeu subtil de la différance, a fait vaciller la vaste entreprise de mise en ordre. Goodman, par la profusion de mondes construits et irréductibles les uns aux autres, remet en cause l'aspiration à l'unité. Nous avons tenté d'établir que la métaphysique s'est développée dans une dialectique de l'un et de l'ordre, se rétablissant sur l'un de ses pilastres quand l'autre faiblissait.
Si donc les soubassements de l'histoire philosophique devaient être revisités - peut-être révisés - il serait fructueux d'user simultanément des propositions derridiennes et goodmaniennes. C'est l'originalité de ce projet. Il s'agit, pour neutraliser la récupération dialectique par l'autre pilier (par l'unité quand l'ordre faillit ou par la mise en ordre dans la multitude s'immisce) d'interroger la tradition suivant le double impératif de la déconstruction et du nominalisme, suivant le double prisme du dés-ordre de Derrida et du multiple de Goodman. Nous avons tenté d'établir que l'efficace d'une remise en cause du « mythe de l'un » ne peut se faire sans ébranler le « mythe de l'ordre ». Considérer conjointement les systèmes (ou des dé-systématisations) de Derrida et Goodman serait donc, suivant ce dessein, non seulement utile mais presque indispensable. Chacun d'eux permet d'éviter la récupération dialectique du schème de l'autre. L'étude est menée à partir d'un inconfort partagé face au concept de vérité.