Filtrer
Support
Langues
Réjean Ducharme
-
«Tout m'avale... Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère...Les enfants en mènent large. Ils peuvent dire pis qu'aimer, pis que pendre. Ils ont tous les droits. Entre vingt et vingt-trois ans (l'âge de ce roman), on a toutes les lois, toutes en même temps. Si on est doué, on les apprend. Si on est pas content, on se déprend, en se souvenant, en imaginant.»
-
En 1966, à vingt-cinq ans, le Québécois Réjean Ducharme fit une entrée remarquée en littérature en publiant chez Gallimard son roman L'Avalée des avalés. De part et d'autre de l'Atlantique, la critique s'est emparée de cet ovni littéraire qui, sélectionné pour le prix Goncourt, entendait bien rester inconnu. En trois décennies, Ducharme a exploré de nombreux genres littéraires (roman, théâtre, scénarios, chansons) et artistiques (assemblage d'objets, peintures, dessins). Toute son oeuvre porte une extrême attention à l'expression, à la langue, à ses trébuchements et à son inconscient. Chez lui, le verbe dialogue, parfois bataille, avec la littérature, entre vénération et démystification, avant de se dépouiller progressivement de ses jeux de mots provocateurs sans perdre son humour.En réunissant l'ensemble des romans de Réjean Ducharme, cette édition «Quarto» propose un éclairage nouveau sur cet auteur emblématique des lettres francophones, grâce aux documents personnels et aux écrits intimes inédits ici reproduits. L'itinéraire qui apparaît confirme l'identification très tôt pressentie entre l'auteur et ses personnages. Des enfants des premiers romans aux déclassés marginaux des derniers, tous incarnent l'absolu de l'amour, de l'amitié et de la liberté, tous expriment le refus d'une société qui marchande tout. Comme les Ferron de L'Hiver de force, Ducharme a vécu en marge, en drop-out, pratiquant tous les métiers pour survivre et pour écrire, voyageur du continent américain comme Bottom dans Dévadé et marcheur des rues de Montréal comme Mille Milles dans Le nez qui voque. Jusqu'à la fin, il sera resté fidèle à ses attachements et radical dans ses décisions.
-
Bottom, trente ans, est par essence un «rada», c'est-à-dire un paumé. Pourvu que la Providence lui donne ses six canettes de bière quotidiennes, il patauge avec complaisance dans l'horreur de vivre. Recueilli par la patronne, il lui sert de nurse et de chauffeur, car elle a les jambes brisées. La patronne passe tout à Bottom, et leur amitié tourne parfois à la tendresse sexuelle. Mais lui aime d'un grand amour sans espoir Juba, qu'il appelle son petit train donzeur, parce qu'elle téléphone tous les jours à onze heures. Il y a aussi Bruno, qu'aime Juba et qui finira percé d'un coup de couteau. Et Nicole, qui couche avec Bottom et aime Adé, le poète fou enfermé dans un asile.Comme le dit Bottom, «ce n'est pas une vie. Avec les ordures dont je la remplis, c'est une poubelle». Et pourtant ces pauvres types et ces filles perdues nous parlent comme s'ils détenaient le secret de la vraie vie. Et surtout, après un long silence, Réjean Ducharme revient au roman avec un style, des mots, une émotion qui le mettent au rang de ces grands écrivains qui, un jour, réinventent le langage. Un magicien qui, à volonté, nous fait rire et pleurer.
-
L'Hiver de force est un de ces livres confession proche de Miller ou de Kerouac. Les deux héros, André et Nicole, sont «sur la route», même quand ils ne bougent pas de l'appartement où ils se saoulent des films de la télé. Il y a leurs amis, Toune, Laïnon, Roger, Catherine, le bavardage lyrique. Il y a le travail de correcteur d'épreuves, les chansons de Charlebois et surtout le merveilleux personnage d'André, si proche de l'auteur, rêveur éveillé qui nous entraîne dans une dérive exotique qui séduit, hypnotise, enchante.
-
«Je suis un joyeux luron. J'aime la vie. Je veux la vie et j'ai la vie. Je prends d'un seul coup toute la vie dans mes bras, et je ris en jetant la tête en arrière, sans compter que les haches dont elle est hérissée font gicler le sang. J'embrasse la vie : on dirait qu'elle est faite pour cela, qu'elle est faite pour me rendre orgueilleux de ma force. Prends une chaise dans tes bras : elle se laissera faire, elle est sans force. La force, tu l'as toute. Comme ce qu'il y a d'écoeurant en moi et en ce monde s'embrasse bien ! s'enlace bien ! se laisse posséder bien ! Je me fiche pas mal de tout ce que j'ai dit, de tout ce que je t'ai fait : je t'embrasse, je t'emporte, je t'emmène avec moi. Plus on est de fous, mieux c'est. Je ne m'embarque pas. C'est moi, la barque, et j'embarque tout. En avant, maman ! Trêve de bavardise !»
-
Mamie, la femme de Rémi Vavasseur, est partie. Pas parce qu'elle ne l'aime pas, mais parce qu'elle ne s'aime pas. Elle court l'Europe et l'Afrique en compagnie de la dangereuse et blonde Raïa. Pendant ce temps, Rémi, à la campagne, accomplit des travaux surhumains pour remettre en état une ruine, à l'intention de Mamie, si elle revient, «en chair et en noces». Dans son lotissement, appelé la Petite Pologne, Rémi se lie avec des voisines. Puis, tandis que les nouvelles de l'errance de Mamie et Raïa se font de plus en plus désastreuses, le petit monde qui entoure Rémi se défait, se disperse. Comme toujours chez Ducharme, la clownerie des personnages ne sert pas à cacher le désespoir, mais plutôt à le souligner. Ainsi qu'il est dit au début : «Il faut investir ailleurs, la vie il n'y a pas d'avenir là-dedans.»
-
Monsieur l'éditeur, Veuillez ne pas trouver insolent que je vous soumette ces dessins. Je ne sais pas plus dessiner qu'écrire. Seulement, est-ce qu'il ne suffit pas d'être de la race humaine pour prétendre parler aux êtres humains?
J'ai mis toute ma liberté et tout mon amour dans ces dessins. Si vous les jugez sans intérêt, ne me les retournez pas. Offrez-les à une jolie femme de ma part.
Vous priant encore de ne pas me trouver insolent.
Réjean Ducharme, 1966 -
«Le temps commençait où je m'apercevais que j'avais fait une erreur, qu'il fallait aimer une femme c'est tout, qu'il n'y en a pas plus qu'une au fond, que toutes les autres la recouvrent pour effacer son nom et son visage c'est tout.» Telle est la philosophie des mémoires de Vincent. C'est un petit gars déchiré entre sa soeur Fériée et sa femme Alberta, avec qui il a tant de mal à vivre et qui le lui rend bien. D'autres femmes encore traversent le récit et sa vie : Urseule, Madeleine, Sharon. C'est un petit gars qui se laisse influencer et qui s'est mis au goût du jour du Québec : les problèmes. Tendre jusque dans le pessimisme et la révolte, ce vagabondage à travers les femmes, et les autres aussi, garde, comme toujours chez Réjean Ducharme, le goût et l'esprit de l'enfance, miraculeusement préservés.
-
Johnny, le narrateur, mène une vie infernale entre sa compagne, la combative Exa Torrent, et la trop grande amie qu'il appelle sa Petite Tare. Celle-ci est d'ailleurs l'épouse de son frère adoptif Julien. Johnny noue aussi des liens avec Poppée, serveuse dans ce genre de bar où le personnel féminin se trémousse devant les clients.Tandis que se déroule cette danse de mort, Johnny ramasse un journal intime en se promenant. Ce que raconte l'auteur de ces écrits, en qui Johnny voit un autre lui-même, c'est une vie comparable à la sienne, à celle d'Exa, de la Petite Tare, de Julien, de Poppée...On ne serait pas surpris si les deux histoires finissaient par se rejoindre. Dans l'une et l'autre se déploient l'art de Réjean Ducharme, son goût de la dérision, son chant de désespoir, et sa langue inimitable.
-
Dans un village du Canada, sur un bateau transformé en maison, la narratrice, une gamine de dix ans, vit avec son beau-père, un Hollandais bossu, sa mère ivrogne, son petit frère débile mental. Dans le manoir voisin, s'installe une tribu de Finlandais : huit garçons et leur petite soeur. Une amitié passionnée naît entre les deux fillettes. Très douées pour l'ubiquité, elles parviennent à vivre la réalité comme des rêves et à rêver comme si elles vivaient.Cette épopée enfantine se déroule dans un monde étrange, où les aventures bizarres et drôles se succèdent sur un rythme effréné, racontées dans une langue superbe, toute façonnée d'images et de couleurs.
-
-
-
-
Dans un grand appartement agressivement confortable, c'est-à-dire d'une laideur ultra-moderne, se réunissent quatre personnages : Sophie la rousse, Roger son amant gras et mou, Bernard l'élégant taré alcoolique et sa toute jeune épouse Mimi, passive et coupable de naissance. Que vont-ils faire ensemble ? S'empoigner. Se jouer à eux-mêmes autant qu'aux autres un show d'une truculence désespérée qui est le procès même de toute existence. Ils se connaissent. Ils se piègent. D'instinct ils savent que leur hystérie est complaisamment communautaire et qu'aucun d'eux n'en sortira. Enfermés dans le cadre feutré d'un bagne sans limites, ils se battent érotiquement ou haineusement, s'insultent, s'adorent, hurlent sur le rythme d'une musique démente en ne cessant de poser la terrible, la douloureuse, l'ineffable question : «Suis-je un grand acteur ?» À quoi les compagnons répondent en choeur : «Tu es un ignoble cabot.» Le langage éclaté de Réjean Ducharme est à la hauteur de ce carnaval burlesque et tragique. Il saisit le lecteur. Il l'embrouille. Il le soumet. Il l'emprisonne à son tour entre les murs d'un abominable huis clos.