Le tour de force d'André Comte-Sponville est d'avoir réussi, dans le dialogue amoureux qu'il mène ici avec l'auteur des Essais, à rendre limpide et bouleversante l'incroyable richesse de la pensée de celui-ci, tout en nous rendant intimement témoins de ce qu'il en retire pour faire franchir à sa propre philosophie une nouvelle étape.
Il nous fait redécouvrir Montaigne, écrivain de génie, talentueux philosophe, humain d'exception que l'on aurait tant aimé connaître : « quel esprit plus libre, plus singulier, plus incarné ? Quelle écriture plus souple, plus inventive, plus savoureuse ? Quelle pensée plus ouverte, plus lucide, plus audacieuse ? Celui-là ne pense pas pour se rassurer, ni pour se donner raison. Ne vit pas pour faire une oeuvre. Pour quoi ? Pour vivre, c'est plus difficile qu'il n'y paraît, et c'est pourquoi aussi il écrit et pense. Il ne croit guère à la philosophie, et n'en philosophe que mieux. Se méfie de 'l'écrivaillerie' et lui échappe, à force d'authenticité, de spontanéité, de naturel. Ne prétend à aucune vérité, en tout cas à aucune certitude, et fait le livre le plus vrai du monde, le plus original et, par-là, le plus universel. Ne se fait guère d'illusions sur les humains, et n'en est que plus humaniste, Ni sur la sagesse, et n'en est que plus sage. Enfin il ne veut qu'essayer ses facultés (son titre, Essais, est à prendre au sens propre) et y réussit au-delà de toute attente. Qui dit mieux ? Et quel auteur, plus de quatre siècles après sa mort, qui demeure si vivant, si actuel, si nécessaire ? »
Alain, philosophe athée, s'intéressait passionnément aux religions. C'est qu'il y voyait comme des miroirs, où l'humanité, qui les a produites, se projette et se reconnaît. Aussi en parle-t-il avec empathie et profondeur : je n'ai rien lu de plus beau sur les religions de la nature (« Pan »), de l'homme (« Jupiter ») ou de l'esprit (judaïsme, christianisme). Et rien de plus juste, sur la laïcité. Mais comment celui qui écrivait qu' « il n'est permis d'adorer que l'homme » put-il tomber - tout en se le reprochant - dans l'antisémitisme que révèle son Journal inédit ? C'est ce que j'ai voulu essayer de comprendre.
« Ce recueil d'impromptus obéit aux mêmes principes que le précédent, Impromptus, publié chez le même éditeur, il y a une vingtaine d'années : il s'agit toujours de textes brefs, écrits sur le champ et sans préparation, entre philosophie et littérature, entre pensée et mélancolie, sous la double invocation de Schubert, qui donna au genre ses lettres de noblesse musicale, et de Montaigne, philosophe «imprémédité et fortuit». Je m'y suis interdit toute technicité, toute érudition, toute systématisation.
Ces douze textes, dans leur disparate, dans leur subjectivité, dans ce qu'ils ont de fragile et d'incertain, visent moins à exposer une doctrine qu'à marquer les étapes d'un cheminement. Un impromptu est un essai, au sens montanien du terme, donc le contraire d'un traité. Si vous n'aimez pas ça, n'en dégoûtez pas les autres. » André Comte-Sponville
«Qu'est-ce que je serais heureux si j'étais heureux!» Cette formule de Woody Allen dit peut-être l'essentiel: que nous sommes séparés du bonheur par l'espérance même qui le poursuit.
La sagesse serait au contraire de vivre pour de bon, au lieu d'espérer vivre. C'est où l'on rencontre les leçons d'Épicure, des stoïciens, de Spinoza, ou, en Orient, du Bouddha. Nous n'aurons de bonheur qu'à proportion du désespoir que nous serons capables de traverser. La sagesse est cela même: le bonheur, désespérément.
Philosopher, c'est penser sa vie et vivre sa pensée.
Entre les deux un décalage subsiste pourtant, qui nous constitue et nous déchire. c'est de quoi la philosophie, souvent, n'est que la dénégation. a quoi bon tant penser, si c'est pour vivre si peu ? la paranoïa, disait freud, est " un système philosophique déformé " ; et un système philosophique, ajouterais-je volontiers, est une paranoïa réussie.
On voudrait ici essayer autre chose - autre chose que cette paranoïa des systèmes, autre chose, même, que cette réussite : une philosophie à découvert, au plus près de la vie réelle, de ses échecs, de sa fragilité, de sa perpétuelle et fugitive improvisation.
C'est que le mot d'impromptus, emprunté à schubert, a paru pouvoir désigner à peu près.
André comte-sponville.
" "Que sais-je ?" en une heure " ou quand la célèbre encyclopédie de poche devient sonore.
Une heure de promenade auditive en compagnie de Christiane Cohendy pour comprendre ce qu'est la philosophie à partir du texte d'André Comte-Sponville, telle est l'invitation de ce livre CD.
Il explique ce qu'est la philosophie, comment elle a évolué à travers les siècles, enfin quels sont les grands courants, dans chaque domaine, qui la traversent ou s'y affrontent. L'ensemble constitue une introduction à la philosophie, donc aussi - mais c'est à chacun d'inventer la sienne - à la sagesse.
André Comte-Sponville fut longtemps maître de conférences à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), avant de se consacrer exclusivement à l'écriture. Il est l'auteur notamment d'un Traité du désespoir et de la béatitude (PUF, 1984), d'un Petit traité des grandes vertus (PUF, 1995) et d'un Dictionnaire philosophique (PUF, 2003).
" Je ne suis pas philosophe ", écrit Montaigne dans les Essais.
Le présent texte vise à montrer qu'il l'est pourtant, et d'autant plus peut-être qu'il y prétend moins. Montaigne lit les philosophes, les confronte les uns aux autres, et à soi : qu'est-ce autre que philosopher ? Il est vrai pourtant qu'il n'est dupe ni de leurs systèmes ni de leurs prétendues démonstrations. Mais pourquoi faudrait-il, pour être philosphe, s'illusionner sur la philosophie ? Tant pis pour les cuistres ou leurs disciples ! Montaigne aime la philosophie vivante, enjouée, folâtre, dit-il.
C'est un philosophe qui ne croit pas à la philosophie, ou qui ne cesse de s'en déprendre : un philosophe lucide et libre, et qui n'en philosophe que mieux.
" La philosophie est celle qui nous instruit à vivre ", écrit-il : c'est en quoi il est philosophe, et nous apprend à philosopher.